Le compte est bon
Par Louis Nadau
Si
les mesures de redistribution décidées après la crise des gilets jaunes
ont profité à une large classe moyenne, Emmanuel Macron reste bien le
"président des riches". Les nantis parmi les nantis restent en effet les
grands bénéficiaires de sa politique. Quant aux pauvres, ils sont les
grands oubliés de la politique économique du gouvernement.
Faux démenti ou vrai biais idéologique ? Ce mardi 15 octobre, Les Echos étaient à un cheveux de sabler le champagne : s'appuyant sur une étude
publiée le même jour par l'Institut des politiques publiques (IPP), le
journal économique a pu annoncer que, sous l'ère Macron, les gains
fiscaux étaient "supérieurs pour les classes moyennes à ceux des plus riches", laissant à l'éditorialiste Dominique Seux le soin de tordre le cou à la "fake news fiscale" selon laquelle le chef de l'Etat était le "président des riches".
Tout à sa joie, l'expert a même répandu la bonne nouvelle mercredi, lors de sa chronique matinale sur France Inter : "Une
évaluation des effets redistributifs de la politique fiscale du
gouvernement est disponible et cette nouvelle évaluation, pour résumer à
gros traits, conclut qu’Emmanuel Macron 'président des riches' était
une fake news, un procès d’intention aujourd'hui en partie démenti",
a ainsi répété Dominque Seux à l'antenne de la radio publique. Sauf que
les choses ne sont pas si simples : certes, les classes moyennes sont
fiscalement gagnantes sur les trois budgets 2018-2020, mais les riches
n'ont pas non plus à se plaindre. En vérité, Emmanuel Macron reste le
président des ultra-riches, et certainement pas celui des pauvres.
Pour étayer leurs propos, Les Echos
comme Dominique Seux s'appuient sur une donnée tout ce qu'il y a de
plus exacte : en cumulant les effets des budgets 2018, 2019 et 2020, le
revenu disponible – soit la somme des revenus après paiement des
prélèvements obligatoires et réception des prestations sociales – des
ménages français situés entre le 3ème et le 8ème
décile sur l'échelle des revenus a augmenté de 3%, contre un peu plus de
1% de hausse pour les deux derniers déciles, soit les classes les plus
riches.
Autrement dit, selon cette évaluation, qui prend en compte
les mesures d'urgence adoptées pour apaiser les gilets jaunes et la
baisse d'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros pour 2020, la
politique économique du gouvernement profite plus proportionnellement
aux 60 % de Français constituant une classe moyenne élargie qu'aux 20 %
de nos compatriotes les plus nantis.
Où sont passés les Ultra-Riches ?
Une donnée qui "tempère nettement l'image de 'président des riches' qui colle à Emmanuel Macron depuis la réforme de l'ISF", soulignent Les Echos, qui martèlent même : "La
hausse pour les classes moyennes serait même supérieure à celle des
très hauts revenus (2 %) qui ont pourtant été favorisés par la réforme
de la fiscalité du capital."
Sur France Inter, Dominique Seux en remet encore une couche : "La
même étude, l’an dernier avait indiqué que le gain de pouvoir d’achat
[des 1% les plus riches] était de 6%. Cela avait fait de beaux
graphiques scandalisés. En fait, après recalculs, pour ces hauts
revenus, et il s’agit de ceux qui ont profité de la demi-suppression de
l’ISF, le gain n’est 'que de' 2%, moins que les classes moyennes. Ces
ménages-là gagnent plus de 200.000 euros par an, l’effet Macron est pour
eux de 4.400 euros, mais en proportion ce ne sont plus les grands
gagnants."
Sauf que, comme le lui a fait remarquer la
professeure d'économie Julia Cagé sur Twitter, Dominique Seux oublie de
préciser que le revenu disponible des 0,1% des Français les plus riches –
les ultras-riches -, a bondi de 3,9 % grâce aux trois derniers budgets.
Les riches parmi les riches ont donc gagné bien plus que 4.400 euros.
Le 9 octobre dernier, un rapport du Sénat
révélait ainsi que les cent plus gros contributeurs de l'ex-ISF ont
économisé en 2018 une moyenne d'1,2 million d'euros… chacun. Entre 2017
et 2018, 1.300 contribuables dont le patrimoine dépasse les dix millions
d'euros ont été exemptés d'IFI, avec pour chacun une économie moyenne
de 100.000 euros.
Macron président des riches : quand @LesEchos ne montrent que ce qui les arrangent.
Et dessous, le schéma oublié par @LesEchos qui montre pourtant que le top 0,1% est le grand gagnant.
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Après avoir été apostrophé, Dominique Seux a reconnu un oubli de sa
part, expliquant avoir mis à jour la version web de sa chronique sur
France Inter – son éditorial des Echos reste quant à lui inchangé. "Données intéressantes sur le 0,1% pas vues sur slides de présentation", reconnaît le journaliste. "Mais le fait est que l'IPP parlait d'un revenu disponible à +6% pour le dernier centile l'an dernier et de +2% aujourd'hui", persiste-t-il cependant. "Même le 0,1% affiche une hausse inférieure à ce qui avait été annoncé il y a un an pour le dernier centile."
Cela
suffit-il à arracher du front d'Emmanuel Macron l'étiquette de
président des riches ? Si l'on regarde les gains fiscaux des ménages en
valeur absolue, on peut légitimement en douter : toujours selon l'IPP,
un ménage du 20ème centile ne gagne que 284 euros de plus grâce à la politique économique du gouvernement. Un ménage du 40ème centile, 284 euros. Le 70ème centile conserve quant à lui 1287 euros. Et le 100ème,
4462 euros, donc. Autrement dit, le coup de pouce macronien attribué à
un ménage modeste reste seize fois inférieur à celui dont bénéficient
les plus riches.
A cela, Dominique Seux a une réponse toute trouvée : "Les
faits démentant l'angle d'attaque qu'ils avaient choisi depuis trois
ans, les opposants au pouvoir vont riposter avec un argument. Il
consistera à dire que ce sont les variations en euros qui comptent, pas
en pourcentage", anticipe-t-il. "Juste : 1 % représente plus sur
100.000 euros que sur 20.000. Mais c'est une inhabituelle façon de
compter, que personne ne songe à utiliser quand des tarifs, des impôts
ou des prix augmentent." "L'habitude est une grande sourdine", écrivait Beckett…
Les pauvres, grands perdants des budgets de Macron
Mais une forme de cécité semble également avoir frappé nos confrères : qu'il s'agisse de l'article des Echos
ou de l'éditorial de Dominique Seux, le cas des 20 % des Français les
plus pauvres est à chaque fois expédié... en une phrase ! Il mérite
pourtant qu'on s'y attarde, puisqu'ils sont les grands perdants de la
politique d'Emmanuel Macron. En effet, pour les mêmes budgets 2018,
2019, 2020, la hausse du revenu disponible est inférieure à 1% jusqu'au
onzième centile, et inférieure à 2% jusqu'au 19ème centile. A titre de
comparaison, les centiles s'étendant du 26ème (plus de 1272 euros par
mois) au 78ème (plus de 2480 euros par mois), soit une classe moyenne
représentant 52 % de la population, bénéficient quant à eux d'une hausse
du revenu disponible supérieure ou égale à 4 %.
Mieux : la hausse
en pourcentage du revenu disponible est plus forte pour les 20 % de la
population les plus riches que pour les 20% de la population les plus
pauvres. Pour le premier décile, soit les 10% de la population ayant
moins de 841 euros de revenu disponible, la hausse de ce dernier n'est
que de 0,42% en moyenne. Si l'on considère les 20 premiers centiles
(moins de 1134 euros par mois), la hausse ne s'élève qu'à 0,76% en
moyenne. Le dixième décile, qui émarge à plus de 3169 euros chaque mois,
a quant à lui gagné 1,04% de revenu disponible. Pour les 20% les plus
riches (plus de 2562 euros), la hausse s'établit quant à elle à 1,05%.
On peut même retirer le centième centile, soit le 1% des ultras-riches :
le gain est de 0,99%, soit toujours plus que pour les 20% les plus
pauvres.
500.000 pauvres de plus en 2018
Ces
20 % de pauvres ont été touchés de plein fouet par la désindexation de
certaines prestations sociales, la baisse des allocations logement, et
la hausse de la taxation du tabac et du carburant (les taxes sur
l'essence étant cependant gelées depuis 2018 et la crise des gilets
jaunes). Quant à la baisse de l'impôt sur le revenu de 2020, elle ne
devrait concerner cette catégorie de Français que marginalement,
puisqu'ils ne gagnent souvent pas assez pour être imposables.
De sorte que, d'après une étude de l’Insee parue le 16 octobre,
la pauvreté a nettement augmenté (+0,6%) en France en 2018 pour
atteindre 14,7% de la population française, alors que la tendance était à
la stagnation ces dernières années, voire à la baisse. Près de 9,3
millions de Français vivent avec moins de 1050 euros par mois pour un
célibataire sans enfant. Soit près de 500.000 de plus qu’en 2017.
Quant aux inégalités, elles connaîtraient, toujours selon l'Insee, leur plus forte hausse depuis 2010. "Le
ratio entre la masse des niveaux de vie détenue par les 20 % de
personnes les plus aisées et celle détenue par les 20 % les plus
modestes augmenterait de 0,1 pour s’établir à 4,4", note l'Insee. "La
hausse des inégalités serait surtout liée à la forte augmentation des
revenus des capitaux mobiliers désormais soumis au prélèvement
forfaitaire unique, concentrés chez les plus aisés", analyse l'institut. N'en déplaise aux Echos, les premiers de cordée n'ont donc pas de quoi pleurer.