Par Sébastien Grob
La réforme des retraites prévoit de créer un nouveau minimum de pension à
1.000 € nets en 2022, porté à 85% du Smic trois ans plus tard.
Présentée comme une "révolution sociale" par Edouard Philippe, cette
mesure sera en réalité peu voire pas avantageuse pour de nombreux
retraités.
C'est un des arguments massue du gouvernement pour vanter son projet. La réforme des retraites
prévoit la création d'un nouveau minimum de pension, qui s'établira à
1.000 euros en 2022. Il sera porté à 85% du Smic net (1.036€
aujourd'hui) trois ans plus tard, et sera ensuite revalorisé comme le
salaire minimum. Ce plancher commun remplacera ceux des différents
régimes, qui ont chacun leurs propres règles pour calculer les pensions
minimales. L'enjeu est d'importance : environ 17% des nouveaux retraités
touchaient un minimum de pension en 2016 selon les chiffres de la Drees. De quoi parler de "révolution sociale", comme Edouard Philippe
lors de son discours du 11 décembre dernier ? La mesure est en réalité
moins avantageuse que le suggèrent les envolées de l'exécutif pour de
nombreux futurs retraités. Marianne vous explique pourquoi.
Le
nouveau plancher s'appliquera d'abord à l'ensemble de la retraite du
salarié, pension complémentaire comprise. Il ne s'agit donc pas d'un
simple relèvement du Minimum contributif (Mico), le minimum du régime
général, comme le laissait penser le projet du gouvernement dévoilé en décembre.
Le Mico s'établit aujourd'hui à 702,55€ par mois pour les retraités qui
ont cotisé pendant au moins trente ans (120 trimestres). Si leur
pension calculée selon la formule de base est inférieure, elle est
augmentée pour atteindre ce montant.
Mais le Mico n'est qu'une
pension de base : les retraités touchent en plus les droits acquis au
titre de leur retraite complémentaire, variables en fonction de leur
revenu et de leur durée d'activité. Au total, les salariés qui partent à
la retraite aujourd'hui en ayant travaillé toute leur carrière au Smic
touchent en moyenne 81% de leur dernier salaire, selon un rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR) de juin dernier.
A comparer avec les 85% promis par le gouvernement : en prenant le
salaire minimum actuel, cela représente un gain (révolutionnaire ?) de
49€ par mois.
L'impact de l'âge pivot
Le
projet du gouvernement prévoit de durcir les conditions à respecter
pour recevoir le minimum de pension. Comme dans le système actuel, les
retraités devront avoir cotisé pendant une carrière dite "complète" pour
le toucher. C'est-à-dire pendant une durée légale variable selon
l'année de naissance, qui s'élève à un peu moins de 42 ans pour les
nouveaux retraités actuels et doit augmenter jusqu'à 43 ans à l'horizon
2035. Pour ceux qui partiront avant, ils recevront le minimum de pension
diminué en proportion de la durée manquante, comme dans l'ancien
système.
Mais le projet du gouvernement prévoit d'ajouter une
deuxième contrainte : le fameux âge pivot. Tel que prévue par
l'exécutif, cette mesure doit affecter d'un malus de 5% par an les
pensions des retraités qui choisiraient de partir avant 64 ans à partir
de 2027. Si un salarié choisit par exemple de partir à 62 ans, il verra
sa pension amputée de 10%. Mais pas seulement : il perdra aussi la
totalité du bénéfice du minimum. Aujourd'hui, un salarié qui part avant
d'avoir droit à une retraite à taux plein voit quand même le Mico pris
en compte dans le calcul de sa retraite. Il touche ainsi un montant égal
au minimum affecté d'un malus, malus d'autant plus important qu'il part
tôt. Après la réforme, il n'y aura "pas de malus sur le montant du minimum de retraite", précise ainsi le secrétariat d'Etat aux retraites auprès de Marianne. Résultat : ils subiront bien un malus, mais ce dernier s'appliquera sur leur retraite calculée selon la formule de base.
Cette
nouvelle condition pèsera lourd sur les salariés ayant commencé à
travailler tôt. Ils sont environ 45% à avoir débuté leur carrière avant
21 ans dans la génération qui prendra sa retraite à l'horizon 2030. Dans
l'ancien système, ils auraient pu partir sans malus à 62 ou 63 ans. Et
recevoir le Mico, qui rehaussait la pension de ses bénéficiaires de 113€
mensuels en moyenne en 2014, selon une étude du COR.
Après la réforme, ils subiront une décote et n'auront pas droit au
minimum de pension s'ils partent avant l'âge pivot. Une perte qui, au
total, "dans le cas d'un salarié au Smic né en 1965 qui a commencé à travailler avant 20 ans", se chiffrera à "15% de sa pension par rapport à l'ancien système s'il part en 2027",
calcule Henri Sterdyniak, économiste à l'Observatoire français des
conjonctures économiques (OFCE). De quoi l'inciter à repousser son
départ jusqu'à l'âge pivot.
Seront-ils au moins gagnants en partant à 64 ans ? Pas sûr : dans
l'ancien système, ils auraient perçu un bonus en continuant à travailler
au-delà de la durée ouvrant droit au taux plein. Dans l'exemple d'un
salarié ayant commencé à 19 ans, sa pension aurait été bonifiée de 5% en
partant à 63 ans, et de 10% en partant à 64. "Les salariés au Smic
qui ont commencé avant 20 ans et partiront à 64 ans en 2027 toucheront
une pension équivalente à ce qu'ils auraient eu dans l'ancien système,
autour de 1.075€ mensuels", estime l'économiste Henri Sterdyniak. Autrement dit, ils ne profiteront pas de la hausse du minimum.
Deux
catégories de retraités bénéficieront vraiment du nouveau plancher. La
première regroupe ceux qui ont commencé à travailler après 21 ans :
l'âge pivot à 64 ans ne les pénalisera pas ou peu par rapport à l'ancien
système, où ils devaient cotiser pendant 42 ou 43 ans pour obtenir leur
taux plein. Les autres gagnants seront les salariés travaillant à temps
partiel réduit, qui perçoivent un salaire nettement en-dessous du Smic
mensuel. S'ils touchent le même minimum de pension de base que leurs
collègues à temps plein à l'heure actuelle, leur retraite complémentaire
est bien inférieure : ce complément est calculé selon un système par
point, et son montant augmente en proportion des heures travaillées.
Ce
handicap sera effacé par le nouveau minimum, qui englobera l'ensemble
de la pension. Moins un salarié travaille d'heures, et plus le nouveau
plancher sera avantageux pour lui. Le gain sera maximal pour un salarié
au Smic ayant travaillé toute sa vie juste assez d'heures pour valider
l’ensemble de ses trimestres (soit 12 heures par semaine) : il "a actuellement une pension de l’ordre de 815 euros nets par mois",
indique le gouvernement dans son projet. Soit deux tiers du Smic net.
Dans le nouveau système, sa pension serait portée à 85% du salaire
minimum. Un jackpot à relativiser : les salariés à temps partiel devront
aussi atteindre 64 ans pour toucher leur minimum. Or, ils ont accès à
un autre revenu minimum à partir de 65 ans, un an après le futur âge
pivot : le minimum vieillesse. Cette allocation, qui existe déjà
aujourd'hui et sera maintenue après la réforme, est d'environ 900€ par
mois pour une personne seule. Soit déjà plus que les 815€ mis en avant
par le gouvernement.
Une hausse déjà proposée en 2017 pour les agriculteurs
Mais
ces deux groupes ne seraient pas les seuls gagnants selon le
gouvernement : les agriculteurs profiteraient aussi à plein du nouveau
minimum. Les exploitants agricoles dépendent aujourd'hui d'un régime
spécifique, avec un minimum de retraite fixé à 75% du Smic. La réforme
semble tout bénef' pour eux : ils partiront avec 85% du salaire minimum
après 2025, soit dix points de plus.
Ce qu'oublie de préciser l'exécutif, c'est qu'une proposition de loi
portant le minimum à ce niveau avait déjà été adoptée par l'Assemblée
nationale en février 2017, à la fin du quinquennat de François Hollande.
Et elle semblait bien partie pour être validée au Sénat, étant soutenue
par le PS comme par Les Républicains. Mais arrivée en séance plénière
en mars 2018, elle a été bloquée… par le gouvernement d'Edouard
Philippe. L'exécutif a utilisé l'article 44 de la Constitution, dont le troisième alinéa permet de forcer le Parlement à ne voter que sur les amendements "acceptés par le gouvernement".
Devant les sénateurs, Agnès Buzyn avait justifié cette entrave par une "question de calendrier". "La proposition de loi est en effet prématurée au regard du débat qui va s’engager sur la réforme de nos régimes de retraite, avait développé la ministre de la Santé. Ce débat sera notamment l’occasion de préciser les modalités d’un système plus équitable".
Et de se targuer d'une mesure sociale après l'avoir différée de
plusieurs années, le nouveau minimum étant prévu pour 2022. Tant pis
pour les agriculteurs partis à la retraite entre-temps, qui n'ont pas
profité de la hausse du plancher.
Les exploitants qui voudraient
bénéficier du nouveau minimum devront partir après l'âge pivot après la
réforme, une contrainte qui n'était pas dans le texte 2017. Cette
nouvelle condition pèsera sur beaucoup d'entre eux : ceux qui partiront à
l'horizon 2030 ont commencé à travailler à 20 ans en moyenne, un âge de
début de carrière qui permettait d'empocher le minimum autour de 62 ans
dans l'ancien système.
Les fonctionnaires sont une autre
profession pour qui les règles vont changer. Ils étaient 4,6% à toucher
le minimum de pension en partant à la retraite en 2017. Dans leur cas,
le nouveau plancher prévu par le gouvernement est… moins élevé que celui
dont ils bénéficient actuellement. Il s'établit aujourd'hui à 1.182€
par mois, nettement au-dessus des 1.000€ promis. Mais cette baisse
devrait être compensée par une validation plus facile d'une carrière
complète pour les salariés à temps partiel. Dans l'ancien système, leurs
trimestres étaient comptabilisés en proportion de leurs horaires : un
salarié à 80% (28 heures par semaines) validait par exemple 4 années de
cotisation en 5 ans de travail. Après la réforme, ces conditions seront
alignées sur le régime général, qui permet de valider l'ensemble des
trimestres en travaillant 600 heures par an au Smic.
Un périmètre flou
Les
contours de la réforme peuvent encore évoluer, et avec eux l'impact du
nouveau minimum de pension. Le gouvernement pourrait notamment aménager
l'âge pivot sous la pression des syndicats, pour éviter de trop
pénaliser les salariés avec une carrière longue. L'exécutif est resté
évasif sur ce sujet jusqu'à présent : Edouard Philippe évoquait par
exemple une "prise en compte des parcours et des carrières de chacun dans l’âge de départ à taux plein", qui permettrait "d’éviter le caractère aveugle dénoncé par certains de l’âge d’équilibre",
après une réunion avec les syndicats le 19 décembre dernier. Mais les
marges de modification de cette mesure semblent limitées, sous peine de
la vider de sa substance. L'intérêt de l'âge pivot à 64 ans est
justement de pousser les salariés ayant commencé à travailler tôt à
repousser leur départ à la retraite, par rapport à l'ancien système où
ils devaient cotiser pendant 42 à 43 ans pour partir à taux plein.
Un
autre point reste flou concerne le futur minimum de pension. Sera-t-il
appliqué aux retraités actuels, ou seulement aux travailleurs qui
partiront à partir de 2022 ? Interrogé par Marianne, le gouvernement se contente d'indiquer que "cela fait partie de la concertation en cours avec les partenaires sociaux".
Mais une application de la mesure aux retraités actuels semble très
improbable, car elle impliquerait de revaloriser de nombreuses pensions
dès 2022. De quoi creuser le déficit honni par le gouvernement, qui
compte faire des économies à court terme. Le ministre des Transports
Jean-Baptiste Djebbari le répétait encore ce jeudi 9 janvier sur RMC :
l'exécutif veut "atteindre l'équilibre financier [du système de retraites] en 2027".