Par Natacha Polony
Derrière
les postures talentueuses et les projets louables, la France d'Emmanuel
Macron ne semble pas décidée à se donner les moyens de ses ambitions.
Les dernières prises de participation étrangères dans notre patrimoine
industriel le prouvent.
La
France, une fois de plus, restera fidèle à sa réputation. La lettre
d'Emmanuel Macron aux citoyens des 28 pays européens a fière allure.
Nous conservons sans nul doute le magistère de la parole. Et le coq
chante glorieusement sous les regards polis de ses voisins. Polis mais
légèrement agacés. Le président français a préféré la missive plutôt que
les grandes réunions, dont la conférence de Munich, mi-février.
Des
diplomates, des militaires, des scientifiques, et bien sûr Angela
Merkel. Mais ses services ont prétexté le « grand débat » pour décliner
l'invitation. De bien mauvaises langues, dans les milieux diplomatiques,
affirment qu'il aurait voulu éviter les sarcasmes. Le temps est loin où
The Economist le présentait comme marchant sur les eaux, où le Times voyait en lui le « leader de l'Europe ». Le Times, d'ailleurs, prévenait : « S'il arrive à gouverner la France. » Mais
l'enfant prodige s'est pris des vestes. Ridicule. La France, sur la
scène internationale, est ridicule, et pas seulement pour cause de «
gilets jaunes ».
Pas de volonté réelle
Pourtant, le texte du président français aborde des questions essentielles. « Assumer la préférence européenne » dans nos industries stratégiques et nos marchés publics, «
sanctionner ou interdire en Europe les entreprises qui portent atteinte
à nos intérêts stratégiques et nos valeurs essentielles, comme les
normes environnementales, la protection des données et le juste paiement
de l'impôt »… On applaudit des deux mains. Et l'on serait prêt,
pour ces quelques mots, à pardonner les poncifs sur la défense
européenne ou le « bouclier social », promis à coups de
commissions, d'experts et de conseils. On applaudit, mais on est pris
d'un doute. Pourquoi nos voisins se gaussent-ils ? Sans doute parce que,
derrière les postures talentueuses et les projets louables, la France
ne semble pas décidée à se donner les moyens de ses ambitions. Pour
peser sur la scène internationale, encore faut-il avoir démontré sa
volonté. Et la volonté s'appuie sur la capacité à imposer un rapport de
force.
TRENTE ANS
D'IDÉOLOGIE TECHNOCRATIQUE DU DÉPASSEMENT DE LA NATION ONT ABOUTI, DANS
LES ÉLITES FRANÇAISES, AU BISOUNOURSISME GÉNÉRALISÉ.
Ce mercredi,
Bruno Le Maire annonçait la future mise en place de la taxe visant les
Gafa. En France. Nos partenaires européens ne nous ont pas suivis.
Mieux,
l'Allemagne, qui faisait officiellement partie des pays initiateurs, a
en réalité freiné des quatre fers pour ne pas compromettre les liens de
son industrie automobile avec ces grands fournisseurs d'intelligence
embarquée. Réjouissons-nous, malgré tout, d'une prise de conscience,
certes bien tardive, de ces enjeux par des politiques longtemps
aveugles. Manque l'essentiel : la puissance d'un poing qui frappe sur la
table.
Bien au contraire, la France s'illustre par son
impuissance absolue. Face aux multinationales, d'abord. Ford n'est que
la dernière d'une longue série. CICE, plan de sauvegarde de l'emploi,
subventions diverses et variées… Et l'on s'en va en faisant en sorte que
le site, surtout, ne puisse être repris par un éventuel concurrent.
Mittal avait agi de façon rigoureusement identique à Florange. L'usine
Ford de Blanquefort vient après Ascoval à Saint-Saulve et Alcatel-Lucent
à Nozay. Pourtant, Emmanuel Macron, au moment du rachat
d'Alcatel-Lucent par Nokia, avait vanté la création d'un « champion européen » .
Les Français sont les seuls à croire qu'un géant finlandais absorbant
un groupe français ne privilégiera pas les intérêts finlandais au
détriment des emplois en France. Trente ans d'idéologie technocratique
du dépassement de la nation ont abouti, dans les élites françaises, au
bisounoursisme généralisé.
Et de fait, pourquoi la France se méfierait-elle de ses alliés néerlandais ? Qui aurait imaginé qu'ils pourraient monter au capital d'Air France-KLM
sans nous prévenir ? Qui, de même, aurait imaginé que les Japonais
pourraient frapper Carlos Ghosn pour fragiliser Renault face à Nissan ?
Entre amis, n'est-ce pas, ces choses-là ne se font pas. Et, comme nous
n'avons que des alliés et des amis, inutile de développer l'intelligence
économique pour anticiper ce genre de réveil nationaliste.
La
France, coup sur coup, se fait humilier par des multinationales sûres de
leur impunité et par ses propres alliés, occupés, eux, à défendre leurs
intérêts. Faute de vision industrielle, faute de volonté réelle, la
France perd peu à peu sa capacité à agir comme une puissance. Dans son
désert industriel, sa voix n'a aucune chance de porter pour réformer
l'Europe, quelles que soient ses bonnes idées.
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