Le jury de l'ENA décrit des candidats moutonniers, incapables de penser par eux-mêmes
Par Hadrien Mathoux
Dans son rapport sur le concours d'entrée 2017, la prestigieuse ENA,
école des haut fonctionnaires régulièrement critiquée pour perpétuer une
forme de pensée unique, s'inquiète de manière particulièrement appuyée
de l'incapacité des aspirants énarques à produire une réflexion
originale, voire à penser par eux-même…
En 1967, Jean-Pierre Chevènement pointait dans un essai offensif les membres de "l'énarchie" comme des "mandarins de la société bourgeoise".
Un-demis siècle plus tard, sans aller jusque-là, l'Ecole nationale
d'administration - la fameuse ENA - se préoccupe enfin de la question du
conformisme de ses étudiants. Ses craintes transpirent du rapport
publié par l'école faisant le bilan de son concours d'entrée 2017.
Coordonné
par la préfète Michèle Kirry, le jury y dresse sans langue de bois un
bilan des épreuves écrites et orales sur lesquelles ont planché les
1.368 candidats aux différents concours d’entrée à l'ENA. Et le bilan
n'est pas rose, malgré le haut degré d'exigence requis pour intégrer
l'institution qui donne accès aux postes les plus prestigieux de la
haute fonction publique.
Uniformité et références hors-sol
Concernant l'épreuve de droit, le jury pointe ainsi "une certaine unicité de vues entre les candidats", et même une "frilosité" qui empêcherait les aspirants énarques de "proposer une réflexion, une vision personnelle du sujet".
Les correcteurs relèvent l'uniformité des candidats, qui préparent
quasiment tous les concours dans les mêmes établissements, utilisent les
mêmes références… et régurgitent donc les mêmes connaissances lors des
épreuves. En clair : des clones ânonnant une pensée unique. "D’une
manière générale et très regrettable, les candidats ont fortement
tendance à construire leur devoir à partir de fiches toutes préparées
par thèmes", regrette le jury, qui se désespère de "traquer l'originalité comme une denrée rare", alors que les candidats ambitionnent de devenir l'élite administrative de la nation.
Parfois,
les correcteurs s'amusent même du caractère monochrome des copies : ils
croient parfois trouver une référence sortant du lot… "jusqu'au moment où elle apparaît dans les mêmes termes sous la plume de plusieurs candidats, trahissant la fiche de lecture".
Lors de l'épreuve de questions européennes, pas moins de cinq individus
ont ainsi utilisé l'interrogation de Henry Kissinger : "L'Europe, quel numéro de téléphone ?". Sauf que plusieurs se sont montrés "ensuite incapables d'expliquer et de justifier leur affirmation" !
Peut-être
craintifs à l'idée de froisser le jury d'une école déjà réputée pour
son conformisme, les candidats à l'ENA ont également été très prudents à
l'heure de donner leur avis sur les sujets pourtant éminemment
politiques qui leur ont été soumis. Jusqu'à totalement escamoter
l'actualité lors de l'épreuve de questions contemporaines, qui portait
pourtant sur un sujet tout chaud : la confiance envers les pouvoirs
publics. Il en ressort l'impression que "le candidat [imagine] la copie idéale comme un texte éthéré, où n'apparaîtraient surtout pas les sujets délicats", poursuit la préfète, qui parle "d'autocensure".
CICE, Europe, voies sur berge... ils pensent tous pareil
Cela ne surprendra peut-être pas mais les candidats ont également
fortement rechigné à critiquer le crédit d'impôt en faveur des
entreprises mis en place par François Hollande… "Il est tout à fait
possible de penser et d'écrire [...] que le bilan du CICE est très en
deçà des ambitions d'origine ou même que l'accorder à toutes les
entreprises sans s'assurer de son utilisation a été une erreur", se
voient obligés d'insister les membres du jury ! Même tendance à
l'uniformité au moment de traiter l'Union européenne, considérée par les
candidats "comme un ordre établi qui ne pourrait être différent". Lors de l'oral consacré à des questions d'actualité, "la
fermeture des voies sur berge a quasi systématiquement donné lieu à une
réponse d'adhésion totale, sans prise en compte des inconvénients
possibles", regrettent encore les examinateurs. Pas de quoi modifier l'image d'une technocratie hors-sol…
Pour
remédier à ces problèmes, le jury indique qu'il a choisi de mettre en
avant les critères d'authenticité, de sincérité et de sens critique dans
sa sélection des 80 lauréats du concours. "Une tête bien faite valant mieux, dans tous les univers professionnels et sous tous les cieux, qu’une tête trop pleine",
le jury explique avoir privilégié les individus capables de penser par
eux-mêmes plutôt que des singes savants de la technocratie. Et Michèle
Kirry d'exhorter les ambitieux voulant intégrer l'ENA à l'avenir au "courage qui consiste à faire une analyse personnelle", loin des "raisonnements formatés". Allez, les futurs énarques : courage, pensez !
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