Penser ce qui compte
Que tous les leaders de mon style fassent l’objet dans tous les pays du monde du même type de choc frontal médiatico-judiciaire ne serait qu’une coïncidence. Que partout en Europe l’action syndicale ou écologique soit criminalisée comme jamais et que l’on franchisse en France un seuil en s’attaquant à la sphère politique parlementaire ne serait pas une interrogation angoissante. Que le principal parti d’opposition en France voie ses fichiers d’adhérents confisqués, dix de ses membres perquisitionnés, trois sièges politiques envahis et interdits d’accès à ses dirigeants, ce ne serait pas un problème. Que trois sièges de modestes entreprises privées soient perquisitionnés, ce ne serait pas le sujet. Que toute la presse en boucle reprenne les mêmes deux minutes d’images dans un moment tendu qui a duré près d’une heure et ne montre aucune image des militants bousculés ou jetés à terre ce n’est pas le sujet. Bien joué « propaganda ». Qu’elle passe son énergie à justifier l’action plutôt qu’à en interroger les accusés, ce serait normal. Que des dirigeants soient empêchés d’entrer dans leur propre local dans lequel on se livre à des actions légalement discutables, ce ne serait pas le sujet. Qu’une procureure laisse des procès-verbaux être publiés sans se demander qui les distribue et s’il ne s’agit pas d’un cas de corruption dans ses propres services, ce ne serait pas une question. Qu’elle n’ait de mots que pour se déclarer solidaire d’une des parties d’un conflit sur lequel elle est censée enquêter, ce ne serait pas le sujet. Que la Garde des Sceaux qui a couvert tout cette opération n’ait pas un mot pour rappeler à l’ordre les branches de la justice dont elle est le chef administratif, ce serait normal. Je doute que ses refrains sur la justice « indépendante » à propos d’action de parquet lui aient valu autre chose que le mépris intellectuel des gens informés sur le sujet. Que la vie privée des perquisitionnés soit foulée au pied de toutes les façons par des confiscations sans objet et des révélations qui n’en sont pas ce ne serait pas un sujet. Que soit accusée de surfacturation la campagne la plus longue et la moins chère des cinq premiers de cette élection, ce ne serait pas une énigme. Que le PS ait dépensé en trois mois autant que nous en un an et que nous soyons les accusés ce n’est pas le sujet. Que des faits avérés de surversement de dons et de dons d’entreprises affectent le compte du vainqueur désormais néanmoins Président de la République, cela ne compte pas.
Ce qui compte, ce qui serait central, ce serait ma colère et son spectacle, ma protestation et mes mots jugés désuets pour la dire. Naufrage total de la pensée. Ma colère est condamnée de toutes les façons possibles, interminablement, en boucle. Bien joué « propaganda ». Car du coup ses causes sont effacées. Et cette colère, ce serait le seul sujet. Qu’ils le veuillent ou non, par pur corporatisme, par une haine dont je ne m’explique plus l’inépuisable ardeur, des légions de gens de média dont le métier devrait être d’aider à penser et à comprendre s’acharnent à empêcher leur public de le faire. Des gens qui devraient défendre la liberté et la démocratie passent leur temps à justifier un coup de force inouï et sans équivalent en Europe à l’heure même où les droits et libertés semblent bien menacés partout. Le parti médiatique mène sa campagne contre les Insoumis avec les mêmes mots, les mêmes images, les mêmes « angles » pour amener les mêmes conclusions et suggérer les mêmes comportements. Des partis et des médias dits « de gauche » qui auraient hurlé au fascisme pour trois fois moins autrefois se réjouissent et jettent sur nous quand ils le peuvent leur propre pierre. Et ainsi de suite.
Tout cela est politique. Le but est notre destruction au profit « d’oppositions » plus accommodantes et plus confortables, plus maîtrisables. Il faut donc en retour politiser ce choc. C’est le choix que j’ai fait avec les députés le jour et à l’heure où nous avons compris que c’était une razzia et non une action de justice qui se menait contre nous. Mais pour agir à bon escient, il ne faut pas s’arrêter aux impressions de l’instant. Mes choix de réaction, mes comportements n’ont jamais été callés sur les moments dans lesquels ils prennent place mais dans la signification que je veux leur donner dans le temps moyen et long.
Telle est ma pratique du judo politique avec l’énergie que libère la boucle médiatique. Le parti médiatique ne peut travailler que dans le court terme. Par obligation, il sautille d’un sensationnel à l’autre. Quand ses klaxons et ses prises à la gorge se transportent, le moment redevient celui de la conscience et de l’assimilation raisonnée des faits. Et dans cet espace entrent l’action militante, les vidéos, les textes, les meetings, les rencontres les débats.
Ce que nous venons de vivre comporte une ample moisson d’apprentissage. Vous avez vu les méthodes et déjà vous les décryptez. Vous avez vu les personnages, du type Plenel, et vous avez mieux compris l’infamie que tant de personnes dans ma génération leur attribue, vous avez vu un déploiement du parti médiatique et vous avez admis sa réalité si vous n’en étiez pas convaincus.
Alors je sais que notre travail est fait. Dans le projet de Sixième République et de Révolution Citoyenne, nous ne construisons pas un parti révolutionnaire. Nous faisons émerger un peuple révolutionnaire, formé et éduqué politiquement par lui-même et ses rencontres avec les évènements. Cette séquence n’a ébranlé que les moins préparés. Elle a déstabilisé les moins intéressés à décrypter. C’est normal. Pour beaucoup la politique est un sujet second ou moins encore dans leur vie. Mais eux aussi vont réfléchir et comprendre comment le pouvoir politique et ses médias ont voulu les manipuler. J’en suis certain quand je vois la masse des messages de solidarité que j’ai reçu et davantage encore les petits mots et gestes amicaux dans la rue depuis une semaine. Les sondages et les micros trottoirs sont un aspect de la réalité. Ils comptent, cela va de soi. Les bourreurs de crânes politiques ont leur efficacité, car sinon ils ne seraient pas aussi payés pour diffuser de la pub qui vous pousse à l’achat de choses dont parfois vous n’avez pas besoin.
Mais la lutte est aussi une école. Et voir lutter fait aussi réfléchir. Ainsi, d’une épreuve à l’autre la conscience populaire élargit ses perceptions du moment et des tâches. Au total, il y a dorénavant davantage de gens qui se sentent « insoumis » du point de vue intime que ce mot décrit. Il y a davantage d’insoumission disponible. Pour rester dans le ton que j’ai donné dans les moments les plus intenses, je dirais que mon comportement est un mode d’emploi de la situation pour les désemparés. Personne n’a envie d’imiter un modèle comme celui des éditocrates qui catéchisent leurs auditeurs. Mais comme ces députés insoumis en écharpe qui bravent l’arbitraire et la meute, nombreux sont ceux qui se sentent représentés par eux et voudront agir sur leur exemple imité le moment venu. C’est notre but.
PS : Qu’après le passage de la perquisition mon ordinateur et mon téléphone aient un fonctionnement erratique ce ne serait pas un problème. Qu’il m’ait fallu cette épreuve pour décider de ma rupture avec la totalité, sans exception, de ceux dont j’avais cru qu’ils étaient des interlocuteurs loyaux sur la scène médiatico-politique prouve trop de naïveté de ma part à l’égard de la caste et de ses subalternes. Moi aussi, comme tout le monde, j’apprends en vivant.
JLM
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