Par Michel Poiccard
En évoquant un système de décote, Emmanuel Macron repousse sans le dire
l'âge de la retraite. Mais parallèlement les entreprises ne veulent pas
des seniors. La solution ne serait-elle pas de mettre plus de jeunes au
travail ? Un million d'emplois pourraient être créés.
Surtout, ne pas se renier, du moins en apparence. Emmanuel Macron a tranché le débat gouvernemental sur le recul de l'âge de départ à la retraite,
qu'il avait laissé prospérer pendant plusieurs semaines. Conformément à
sa promesse de campagne, l'âge légal restera de 62 ans, a-t-il affirmé.
Ouf ! Pas de recul de l'âge légal, mais la mise en place évoquée d'un
système de décote qui aboutit en réalité au même résultat : les salariés
devront attendre l'âge de 64 ou 65 ans pour obtenir une retraite
correcte. Comment repousser l'âge de départ sans le dire…
A l'écouter attentivement, Macron reprend en fait la ritournelle du «
travailler plus » chanté en son temps par Nicolas Sarkozy. Beaucoup de
seniors y sont prêts, mais encore leur faut-il trouver des employeurs
prêts à jouer le jeu. Ceux-là, dans leur grande majorité, ne veulent pas
embaucher des salariés de plus de 55 ans. En fait, l'âge moyen de la
liquidation de la retraite (la première pension perçue) dépasse déjà les
62 ans. Il faut oublier l'image d'Epinal du salarié fêtant sa fin de
vie active avec ses collègues le jour J : la moitié des personnes «
partant » à la retraite n'ont déjà plus, en réalité, d'activité
professionnelle. Elles sont au chômage, ou touchent des indemnités
maladie invalidité, ou rien du tout… Même le Medef l'admet, repousser
l'âge légal est synonyme d'économies pour les caisses de retraite, mais
plombe d'autres comptes publics, à travers le paiement de ces
différentes allocations. Boucher un trou tout en en creusant un autre…
Cette faiblesse de l'emploi des seniors risque de perdurer, à voir
certaines entreprises prêtes à accorder des préretraites maison, sans
l'aide de l'Etat. C'est le cas de Castorama, qui propose 80 % du salaire
brut pendant six ans, ou Ford, qui va mettre en place un système
similaire à Blanquefort.
Gros déficit d'emploi chez les moins de 25 ans
Pourtant,
financer notre modèle de protection sociale suppose effectivement que
le volume de travail augmente. Reste à trouver la solution si travailler
plus vieux ne suffit pas vraiment. Contrairement aux idées reçues, la
durée annuelle du travail en France est proche de la moyenne des pays
européens, si l'on veut bien considérer tous les emplois, et pas
seulement ceux à temps plein. Ainsi, en moyenne, un salarié en France travaille 1 515 heures par an, contre 1 370 pour son homologue en Allemagne.
Au sein des pays industriels, ce sont les Américains qui se détachent,
avec 1 789 heures annuelles. Mais nul ne voit là un modèle.
En
revanche, à considérer l'ensemble de la population en âge de travailler,
et pas seulement celle qui a un job, la France tombe clairement en
queue de peloton, s'agissant du temps de travail moyen. La faute au
chômage de masse, sans compter les personnes découragées de chercher un
emploi et qui ne sont donc pas comptabilisées dans les chiffres du
chômage. La faute surtout au chômage des jeunes. D'où cette idée : et si
les fameux millennials travaillaient plus, eux aussi ? Plus
précisément, s'ils entraient dans l'emploi plus tôt ? Car ce déficit
d'emplois, on le trouve aux deux bouts de la vie active, avant 25 ans et
au-delà de 55 ans. Si les Français situés à l'intérieur de ces deux
bornes travaillent autant que leurs voisins, l'écart se creuse en
revanche avec le reste de l'Europe, s'agissant des jeunes et des
seniors. La proportion des 55-64 ans ayant un emploi a certes progressé
ces dernières années, mais elle reste à 52 %, alors qu'elle atteint 71 %
en Allemagne, et même 78 % en Suède. De même pour les jeunes.
Au-dessous de 25 ans, leur taux d'emploi se traîne à 29,9 %, contre 47 %
en Allemagne, 57 % au Danemark, 64 % aux Pays-Bas… Si les entreprises
refusent les seniors, ne pourrait-on pas favoriser l'emploi des jeunes ?
C'est
d'autant plus envisageable que de nombreux secteurs d'activité alignent
les projets d'embauche et peinent à trouver de la main-d'œuvre. C'est
le cas notamment dans les services aux entreprises, le commerce et la
branche hôtels-cafés-restaurants. Des métiers souvent difficiles et
parfois peu attirants, ce qui peut expliquer le paradoxe d'une
coexistence d'un chômage massif et de difficultés de recrutement. Mais
pas seulement. Les jeunes exclus de l'emploi sont souvent victimes d'un
manque de formation, véritable handicap sur le marché du travail. Et il
ne s'agit pas seulement de formation professionnelle, comme le souligne
Stéphane Carcillo, chef de la division emplois et revenus à l'OCDE. «
De nombreux jeunes sortis sans rien du système scolaire sont à la
peine, même face à des métiers apparemment très simples, dans les
services, affirme-t-il. Ces métiers exigent en fait des
compétences de base, comme savoir s'exprimer clairement ou comprendre un
texte. Ces compétences, les jeunes décrocheurs, sans aucun diplôme, ne
les ont pas. »
En 2016 , 22 % de décrocheurs
Ils forment les bataillons des Neet, l'acronyme anglais pour not in education, employment or training
(jeunes de moins de 25 ans ne poursuivant pas d'études ni de formation
et n'ayant pas d'emploi). En France, on dénombre pas moins de 1,9
million de jeunes relevant de cette catégorie. Une catégorie qui grossit
régulièrement, au rythme de la sortie du système scolaire chaque année
de 140 000 jeunes sans aucun diplôme. Dix-sept pour cent des jeunes de
moins de 25 ans se trouvaient dans cette situation en 2005, c'est 22 %
de la classe d'âge en 2016, selon l'OCDE. Rien à voir avec l'Allemagne,
où seulement 11 % d'entre eux se trouvent déscolarisés et sans emploi.
La moyenne des pays industriels (OCDE) se situe à 16,5 %.
La
situation apparaît d'autant plus dramatique que les jeunes disposant
d'une formation, même minimale, s'en sortent beaucoup mieux. « Au
contraire, ceux qui ont en poche un diplôme professionnalisant, même de
base (CAP), sont dans une situation bien plus favorable, relève Stéphane Carcillo. I l s décrochent même assez rapidement des contrats à durée indéterminée. »
C'est
donc le système scolaire qui là est mis en cause. Stéphane Carcillo
insiste sur la forte proportion de jeunes Français classés au niveau 1,
le plus faible, handicapés par le manque de connaissances de base.
Comment y remédier ? Il y a la voie allemande, qui a pour inconvénient
d'enfermer, très jeunes, les élèves dans des filières
professionnalisantes. Et la méthode finlandaise, passant par des
investissements élevés, consistant à repérer très vite les décrocheurs,
les prendre en charge avant leur sortie du système scolaire.
L'enjeu
est majeur. Quelque 1 million de jeunes de plus auraient un emploi si
la France rejoignait la situation allemande. Avec à la clé au moins 1
milliard d'euros supplémentaires finançant les retraites… Au boulot !
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