Par Louis Nadau
Erreurs et retards de facturation, régularisations retardées, offres
mensongères, démarchage abusif… Profitant du maquis créé par la fin du
monopole d'EDF en 2007, les opérateurs d'électricité s'adonnent à une
concurrence acharnée aux dépens de leurs clients, selon le rapport
annuel du médiateur national de l'énergie, publié ce mardi 14 mai.
Le Far West, ou presque. Dans son rapport annuel
publié ce mardi 14 mai, le médiateur national de l'énergie épingle les
pratiques des fournisseurs d'électricité. Erreurs et retards de
facturation, régularisations retardées, offres mensongères, démarchage
abusif… Profitant du maquis créé par la fin du monopole d'EDF en 2007,
les opérateurs, dont le nombre a augmenté de 8 à 31 en une douzaine
d'années, s'adonnent à une concurrence sauvage, bien souvent aux dépens
de leurs clients, si bien que le nombre de litiges explose ces dernières
années.
22% des foyers ont quitté EDF
Le
mouvement des clients vers des "fournisseurs alternatifs" – autre
qu'EDF, donc – s'accélère, et avec lui le nombre de litiges arrivant sur
la pile de dossiers du médiateur de l'énergie, autorité publique indépendante chargée d'informer les consommateurs et de proposer des solutions amiables aux litiges. "EDF a perdu 4% de ses clients en 2018, ça excite des appétits. 22% des foyers se sont tournés vers d'autres fournisseurs", explique à Marianne
le médiateur de l'énergie, Jean Gaubert. Cette accélération est due à
l'arrivée de Total sur le marché, mais également au développement des
offres de grandes surfaces comme Leclerc et Casino, ainsi que de petits
fournisseurs tournés vers une consommation verte.
Le nombre de litiges a lui augmenté de 38% en deux ans, pour
atteindre 16.934 l'an dernier. De 2017 à 2018, le nombre des cas
recevables pour une médiation de l'autorité publique a augmenté de 37%.
De 351 en 2008, il est passé à 3.649 en 2013 et 5.530 en 2018. Si ces
chiffres semblent anecdotiques comparativement aux 35 millions de
compteurs installés en France, ils ne représentent que la partie émergée
de l'iceberg : peu de consommateurs ont recours à cette médiation de
dernier recours, encore largement méconnue. Parmi les fournisseurs,
l'italien ENI conserve son bonnet d'âne en matière de litiges, avec 235
litiges pour 100.000 compteurs, contre 125 pour Total spring, 92 pour
Engie et 35 pour EDF.
"On a le sentiment que les fournisseurs jouent de la lassitude des consommateurs"
Si
l'augmentation du nombre de changements de fournisseurs entraîne
mécaniquement une hausse des litiges dus à une fin de contrat, ce n'est
pas la cause principale de la hausse du nombre total de litiges. En
effet, le nombre d'affaires liées aux factures a augmenté de 60% entre
2017 et 2018. Les problèmes de raccordement aux réseaux ont quant à eux
bondi de 64%.
"La
concurrence provoque un certain nombre de litiges et il y a, de la part
de certains fournisseurs, un manque de professionnalisme", déplore Jean Gaubert, qui pointe la mauvaise volonté des fournisseurs. "On peut comprendre qu'il y ait des litiges compliqués à régler, qui demandent du temps, reconnaît l'ancien député socialiste, mais pas que des choses d'une simplicité biblique ne soient pas résolues rapidement !". "Quand
j'entends 'ce n'est pas si simple', je me dis que les fournisseurs
n'ont pas envie de régler le problème. On a le sentiment que les
fournisseurs jouent de la lassitude des consommateurs", s'agace-t-il.
Engie déjà condamné
Des opérateurs peu scrupuleux, dont les prestataires seraient souvent "poussés au crime" par une rémunération à la commission, semblent largement profiter de la méconnaissance des consommateurs. Pour les "arnaquer", lâche même Jean Gaubert : "Ce
qui est assez extraordinaire, c'est qu'ils sont tous très libéraux,
soit, mais que leur libéralisme s'arrête quand on parle du client. Parce
que quand un client est à moi, surtout personne n'y touche, mais quand
ce n'est pas le cas, j'ai le droit d'agresser, j'ai le droit de faire
tout ce que je veux…".
Tous les coups semblent donc permis, comme le montre le rapport du médiateur de l'énergie : "Un
prétendu 'service solution habitat d’EDF mandaté par l’Etat' promet une
baisse des factures; des vendeurs mentent sur l’existence d’une 'loi
Hulot' versant des bonus pour les habitations peu énergivores (…); un
commercial annonce une hausse de 30% des tarifs réglementés. (…)
Certains se font passer pour le releveur de compteur ou usurpent
l’identité de concurrents". En mars dernier, la cour d’appel de
Versailles a d'ailleurs condamné Engie à verser 1 million d’euros de
dommages et intérêts à EDF en raison de démarchages s'apparentant à de
la concurrence déloyale.
Revenir à la proximité
Les consommateurs, eux, se trouvent bien souvent impuissants, pendus à une hotline délocalisée pour comprendre leurs factures. "La
capacité à corriger un paramètre est remontée à un niveau
invraisemblable chez les fournisseurs. Les entreprises ont à
s'interroger sur la manière dont elle ont phagocyté la responsabilité de
leurs collaborateurs, analyse le médiateur de l'énergie. Dès qu'il y a un petit grain de sable dans la machine, tout se bloque".
Selon
Jean Gaubert, la balle est dans le camp des fournisseurs. Le médiateur
de l'énergie appelle notamment ces derniers à se rapprocher physiquement
de leurs clients. "La proximité reste une solution très
intéressante. Dans mon département, les Côtes-d'Armor, il y avait 17
points auxquels les gens pouvaient se rendre pour avoir des explications
avant la fin du monopole en 2007. La présence des agents d'EDF était
très forte. Le releveur du compteur, c'était un peu le médiateur, on
pouvait lui signaler une anomalie, le soir il rentrait de sa tournée et
pouvait la signaler à ses chefs", explique-t-il. D'après lui, il faut avant tout casser "le mur" auquel se heurtent les clients lorsqu'ils tentent d'obtenir une réponse de leurs fournisseurs.
L'Etat
devrait également prendre sa part pour réguler cette concurrence
effrénée, en mettant les opérateurs devant leurs responsabilités. Jean
Gaubert, qui quittera ses fonctions en novembre prochain, invite à
prendre exemple sur le modèle britannique, dans lequel le gendarme de
l'énergie interdit aux fournisseurs de signer des contrats avec de
nouveaux clients tant que leurs litiges en cours ne sont pas réglés. En
France "jusqu'ici, il n'est pas évident que la libéralisation ait représenté un gain pour le consommateur", conclut pour l'heure le médiateur de l'énergie.
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