mercredi 9 janvier 2019

Macron : extension du domaine de la chute


 

Affaibli sur les plans extérieur et intérieur, le chef de l'Etat accumule désillusions et impasses. Les élections européennes, qui auront lieu le 26 mai prochain, pourraient bien ressembler à un vote sanction.
 
Redoutable effet tenaille. Alors que se profilent dans seulement cinq mois les premières élections intermédiaires de son mandat, des européennes cruciales, le chef de l'Etat aborde les premiers jours de l'année 2019 très affaibli, à la fois sur les plans extérieur et intérieur. La décision unilatérale de Donald Trump de se désengager de Syrie, mettant hors jeu son allié français, a donné le coup de grâce en cette année de toutes les désillusions pour le locataire de l'Elysée.

Dès novembre 2017, Time Magazine avait résumé la délicate équation qu'Emmanuel Macron avait à résoudre. Le président français y était présenté comme « le prochain leader de l'Europe », avec toutefois un astérisque conditionnant cette promesse glorieuse : « Si seulement il parvient à diriger la France. »
L'hebdomadaire américain le mettait notamment en garde contre « le retour de la colère populiste qui a conduit au Brexit ». L'échec d'Emmanuel Macron à faire de 2018 « l'année de la cohésion nationale », comme il en avait formulé le vœu le 31 décembre 2017, échec douloureusement symbolisé par la révolte des « gilets jaunes », s'est bel et bien agrégé à son incapacité à entraîner l'Union derrière lui.

Rapport de force

Il est loin le temps où Macron espérait imprimer son rythme au Vieux Continent, lorsque les médias allemands le qualifiaient de « Wunderkind » (« enfant prodige »), lui qui promettait enfin d'entreprendre en France les « transformations » structurelles guettées par Berlin. En septembre 2017, dans un discours prononcé à l'université de la Sorbonne, Emmanuel Macron plaidait pour toute une série de réformes censées marquer à la fois le réveil de l'Europe et sa propre suprématie politique, lui qui avait vaincu Marine Le Pen : un budget de la zone euro renforcé, dont les ressources seraient issues de la taxation du secteur numérique, ou de taxes environnementales. Un budget piloté par un ministre des Finances et contrôlé par un Parlement. Il espérait également la constitution de listes transnationales pour les européennes, pour occuper les 73 sièges laissés vacants par les députés britanniques - une réponse au Brexit.
Quelques avancées ont été obtenues, notamment l'accord sur les travailleurs détachés, puis le discours a fini par être recouvert de poussière. Le gouvernement français a d'ailleurs déjà reconnu certaines impasses, comme la taxation européenne des Gafam, refusée par l'Allemagne, avec qui tout espoir de cheminer dans une relation d'égal à égal a désormais été abandonné. C'est l'une des leçons intégrées par l'apprenti président, après seulement quelques mois de quinquennat. Et, aujourd'hui, ce dernier semble terriblement impuissant à inverser ce rapport de force. D'autant que, pour endiguer la révolte des « gilets jaunes », Emmanuel Macron a été contraint de se renier, en s'affranchissant des contraintes budgétaires européennes que son gouvernement se gargarisait pourtant de respecter pour la première fois depuis… 2009 !
Lorsque le 10 décembre, Emmanuel Macron a annoncé des mesures qui allaient peser à hauteur de 10 milliards d'euros dans le budget 2019, il a renoncé à « sa couronne de leader autoproclamé du Saint-Empire européen », selon la très pertinente formule du journaliste François Bazin, interrogé par FigaroVox. La presse allemande s'est déchaînée. La Frankfurter Allgemeine Zeitung a tonné : « Après la Grande-Bretagne, c'est la France qui s'efface comme partenaire européen fiable de l'Allemagne. » Pour Die Welt, le président aurait même fait de la France la nouvelle Italie. Et de tirer le signal d'alarme : « Emmanuel Macron n'est plus un partenaire pour sauver l'Europe et la zone euro, mais un facteur de risque. »

Pourquoi la France et pas l'Italie ?

Les dirigeants allemands sont, eux, demeurés bien discrets. La crise sociale française intervient, il est vrai, à un moment où un débat s'instaure outre-Rhin sur l'utilisation de l'excédent budgétaire qui devrait atteindre 10 milliards d'euros. Une cagnotte que certains aimeraient voir doper la croissance plutôt qu'éternellement servir à rembourser la dette. Ironie grinçante de la situation, c'est fort de l'exemple français et agitant la menace de la propagation de la révolte jaune en Europe que le gouvernement italien a pu trouver le 19 décembre dernier un accord sur son projet de budget avec la Commission européenne. La crise née des ronds-points a fourni à Giuseppe Conte, le président du Conseil, un argument diablement efficace : pourquoi, c'est vrai, autoriser la France à dépasser la règle et vouloir faire plier l'Italie ?

Conscient de sa défaite sur un thème qui l'a fait élire et qui est aujourd'hui, avec l'injustice sociale, l'un des principaux angles morts de sa politique, Emmanuel Macron a promis lors de ses vœux un « projet européen renouvelé », qui sera présenté dans les prochaines semaines. Ses contours semblent aujourd'hui bien vagues, mais surtout contradictoires avec la politique menée depuis vingt mois. Notamment lorsque le chef de l'Etat assure qu'il entend « les peurs » des Français « face à une Europe ultralibérale qui ne permet plus aux classes moyennes de bien vivre », sans qu'on voie pour l'instant la moindre traduction concrète de cette belle déclaration d'intention. Le 31 au soir, lors de ces vœux traditionnels, il est encore allé plus loin. Forçant certains à monter le son de leur téléviseur, il a osé affirmer que « le capitalisme ultralibéral et financier va vers sa fin ». Comprenne qui pourra cette antienne cryptomarxiste.

Réformes explosives

Le président de la République aura surtout fort à faire pour canaliser au maximum le vote sanction qui se profile pour les élections, le 26 mai. D'ici là, il espère geler la situation politique nationale, en organisant un grand débat, défouloir qui risque pourtant de générer de nombreuses frustrations. Emmanuel Macron a prévu d'écrire aux Français pour leur expliquer dans quel cadre s'ouvriraient les discussions, tout en leur signifiant qu'il n'avait aucunement l'intention d'infléchir sa ligne politique. Tout juste leur a-t-il fait miroiter « des décisions » pour « redonner toute sa vitalité à notre démocratie ». Promesse là encore bien évasive.
« Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies », avait professé le président de la République le 10 décembre dernier. A l'écouter le 31 décembre, il conserve pourtant inscrit à son agenda les mêmes réformes explosives, comme celles des règles de l'indemnisation du chômage, de l'organisation du secteur public ou du système de retraite, autant de chiffons rouges pour les « gilets jaunes ». Sans doute cette reconnaissance d'un bouleversement valait-elle avant tout pour lui, président désormais la cible d'une haine quasi irrationnelle. Et dont le silence, au début de la crise des « gilets jaunes » comme cela avait le cas au début de l'affaire Benalla, a ouvert des discussions sans fin sur son exercice du pouvoir solitaire.
Ce même exercice du pouvoir qui a fini par éloigner ses premiers soutiens, à l'instar de Gérard Collomb. « Nous savions qu'il avait des fragilités personnelles, reconnaissait ainsi un autre de ses anciens fidèles en rupture de ban, au tournant de l'automne. Nous étions quand même derrière lui, car nous considérions que son programme était bon pour la France. »

Un président à l'arrêt

Ressuscité en cette fin d'année 2018, l'ancien conseiller Alexandre Benalla sait encore rendre quelques services. Selon lui, a-t-il confié à Mediapart, le problème vient de l'entourage élyséen, « un certain nombre de personnes qui sont puissantes et font comme si le président était sous curatelle ». Il cible les « technocrates » qui « appartiennent à une famille pire que la Mafia, où tout le monde se tient, où tout le monde doit sa carrière à l'autre ».
Dans son viseur, Patrick Strzoda, directeur du cabinet du président, et Alexis Kohler, un secrétaire général de l'Elysée fragilisé, toujours visé par une enquête pour des soupçons de conflits d'intérêts.
Souvent présenté comme l'alter ego d'Emmanuel Macron, ce dernier a affiché dans son bureau, rue du Faubourg-Saint-Honoré, un cadre avec une carte portant cette citation de Winston Churchill : « If you're going through hell, keep going » (« Si tu traverses l'enfer, ne t'arrête pas »)*. Toute la question est de savoir si le président et son double n'y sont pas déjà, à l'arrêt.

* Raconté dans la Macronie ou le nouveau monde au pouvoir, de Jean-Pierre Bédéï et Christelle Bertrand (L'Archipel, 2018).


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