Par Soazig Quéméner
Affaibli
sur les plans extérieur et intérieur, le chef de l'Etat accumule
désillusions et impasses. Les élections européennes, qui auront lieu le
26 mai prochain, pourraient bien ressembler à un vote sanction.
Redoutable
effet tenaille. Alors que se profilent dans seulement cinq mois les
premières élections intermédiaires de son mandat, des européennes
cruciales, le chef de l'Etat aborde les premiers jours de l'année 2019
très affaibli, à la fois sur les plans extérieur et intérieur. La
décision unilatérale de Donald Trump de se désengager de Syrie, mettant
hors jeu son allié français, a donné le coup de grâce en cette année de
toutes les désillusions pour le locataire de l'Elysée.
Dès novembre 2017, Time Magazine avait résumé la délicate équation qu'Emmanuel Macron avait à résoudre. Le président français y était présenté comme « le prochain leader de l'Europe », avec toutefois un astérisque conditionnant cette promesse glorieuse : « Si seulement il parvient à diriger la France. »
L'hebdomadaire américain le mettait notamment en garde contre « le retour de la colère populiste qui a conduit au Brexit ». L'échec d'Emmanuel Macron à faire de 2018 « l'année de la cohésion nationale », comme
il en avait formulé le vœu le 31 décembre 2017, échec douloureusement
symbolisé par la révolte des « gilets jaunes », s'est bel et bien agrégé
à son incapacité à entraîner l'Union derrière lui.
Rapport de force
Il est loin le temps où Macron espérait imprimer son rythme au Vieux Continent, lorsque les médias allemands le qualifiaient de « Wunderkind » (« enfant prodige »), lui qui promettait enfin d'entreprendre en France les « transformations » structurelles
guettées par Berlin. En septembre 2017, dans un discours prononcé à
l'université de la Sorbonne, Emmanuel Macron plaidait pour toute une
série de réformes censées marquer à la fois le réveil de l'Europe et sa
propre suprématie politique, lui qui avait vaincu Marine Le Pen : un
budget de la zone euro renforcé, dont les ressources seraient issues de
la taxation du secteur numérique, ou de taxes environnementales. Un
budget piloté par un ministre des Finances et contrôlé par un Parlement.
Il espérait également la constitution de listes transnationales pour
les européennes, pour occuper les 73 sièges laissés vacants par les
députés britanniques - une réponse au Brexit.
Quelques avancées
ont été obtenues, notamment l'accord sur les travailleurs détachés, puis
le discours a fini par être recouvert de poussière. Le gouvernement
français a d'ailleurs déjà reconnu certaines impasses, comme la taxation
européenne des Gafam, refusée par l'Allemagne, avec qui tout espoir de
cheminer dans une relation d'égal à égal a désormais été abandonné.
C'est l'une des leçons intégrées par l'apprenti président, après
seulement quelques mois de quinquennat. Et, aujourd'hui, ce dernier
semble terriblement impuissant à inverser ce rapport de force. D'autant
que, pour endiguer la révolte des « gilets jaunes », Emmanuel Macron a
été contraint de se renier, en s'affranchissant des contraintes
budgétaires européennes que son gouvernement se gargarisait pourtant de
respecter pour la première fois depuis… 2009 !
Lorsque le 10
décembre, Emmanuel Macron a annoncé des mesures qui allaient peser à
hauteur de 10 milliards d'euros dans le budget 2019, il a renoncé à « sa couronne de leader autoproclamé du Saint-Empire européen », selon
la très pertinente formule du journaliste François Bazin, interrogé par
FigaroVox. La presse allemande s'est déchaînée. La Frankfurter Allgemeine Zeitung a tonné : « Après la Grande-Bretagne, c'est la France qui s'efface comme partenaire européen fiable de l'Allemagne. » Pour Die Welt, le président aurait même fait de la France la nouvelle Italie. Et de tirer le signal d'alarme : « Emmanuel Macron n'est plus un partenaire pour sauver l'Europe et la zone euro, mais un facteur de risque. »
Pourquoi la France et pas l'Italie ?
Les
dirigeants allemands sont, eux, demeurés bien discrets. La crise
sociale française intervient, il est vrai, à un moment où un débat
s'instaure outre-Rhin sur l'utilisation de l'excédent budgétaire qui
devrait atteindre 10 milliards d'euros. Une cagnotte que certains
aimeraient voir doper la croissance plutôt qu'éternellement servir à
rembourser la dette. Ironie grinçante de la situation, c'est fort de
l'exemple français et agitant la menace de la propagation de la révolte
jaune en Europe que le gouvernement italien a pu trouver le 19 décembre
dernier un accord sur son projet de budget avec la Commission
européenne. La crise née des ronds-points a fourni à Giuseppe Conte, le
président du Conseil, un argument diablement efficace : pourquoi, c'est
vrai, autoriser la France à dépasser la règle et vouloir faire plier
l'Italie ?
Conscient de sa défaite sur un thème qui l'a fait élire et qui est
aujourd'hui, avec l'injustice sociale, l'un des principaux angles morts
de sa politique, Emmanuel Macron a promis lors de ses vœux un « projet européen renouvelé », qui
sera présenté dans les prochaines semaines. Ses contours semblent
aujourd'hui bien vagues, mais surtout contradictoires avec la politique
menée depuis vingt mois. Notamment lorsque le chef de l'Etat assure
qu'il entend « les peurs » des Français « face à une Europe ultralibérale qui ne permet plus aux classes moyennes de bien vivre », sans
qu'on voie pour l'instant la moindre traduction concrète de cette belle
déclaration d'intention. Le 31 au soir, lors de ces vœux traditionnels,
il est encore allé plus loin. Forçant certains à monter le son de leur
téléviseur, il a osé affirmer que « le capitalisme ultralibéral et financier va vers sa fin ». Comprenne qui pourra cette antienne cryptomarxiste.
Réformes explosives
Le
président de la République aura surtout fort à faire pour canaliser au
maximum le vote sanction qui se profile pour les élections, le 26 mai.
D'ici là, il espère geler la situation politique nationale, en
organisant un grand débat, défouloir qui risque pourtant de générer de
nombreuses frustrations. Emmanuel Macron a prévu d'écrire aux Français
pour leur expliquer dans quel cadre s'ouvriraient les discussions, tout
en leur signifiant qu'il n'avait aucunement l'intention d'infléchir sa
ligne politique. Tout juste leur a-t-il fait miroiter « des décisions » pour « redonner toute sa vitalité à notre démocratie ». Promesse là encore bien évasive.
« Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies », avait
professé le président de la République le 10 décembre dernier. A
l'écouter le 31 décembre, il conserve pourtant inscrit à son agenda les
mêmes réformes explosives, comme celles des règles de l'indemnisation du
chômage, de l'organisation du secteur public ou du système de retraite,
autant de chiffons rouges pour les « gilets jaunes ». Sans doute cette
reconnaissance d'un bouleversement valait-elle avant tout pour lui,
président désormais la cible d'une haine quasi irrationnelle. Et dont le
silence, au début de la crise des « gilets jaunes » comme cela avait le
cas au début de l'affaire Benalla, a ouvert des discussions sans fin
sur son exercice du pouvoir solitaire.
Ce même exercice du pouvoir qui a fini par éloigner ses premiers soutiens, à l'instar de Gérard Collomb. « Nous savions qu'il avait des fragilités personnelles, reconnaissait ainsi un autre de ses anciens fidèles en rupture de ban, au tournant de l'automne. Nous étions quand même derrière lui, car nous considérions que son programme était bon pour la France. »
Un président à l'arrêt
Ressuscité
en cette fin d'année 2018, l'ancien conseiller Alexandre Benalla sait
encore rendre quelques services. Selon lui, a-t-il confié à Mediapart,
le problème vient de l'entourage élyséen, « un certain nombre de personnes qui sont puissantes et font comme si le président était sous curatelle ». Il cible les « technocrates » qui « appartiennent à une famille pire que la Mafia, où tout le monde se tient, où tout le monde doit sa carrière à l'autre ».
Dans
son viseur, Patrick Strzoda, directeur du cabinet du président, et
Alexis Kohler, un secrétaire général de l'Elysée fragilisé, toujours
visé par une enquête pour des soupçons de conflits d'intérêts.
Souvent
présenté comme l'alter ego d'Emmanuel Macron, ce dernier a affiché dans
son bureau, rue du Faubourg-Saint-Honoré, un cadre avec une carte
portant cette citation de Winston Churchill : « If you're going through hell, keep going » («
Si tu traverses l'enfer, ne t'arrête pas »)*. Toute la question est de
savoir si le président et son double n'y sont pas déjà, à l'arrêt.
* Raconté dans la Macronie ou le nouveau monde au pouvoir, de Jean-Pierre Bédéï et Christelle Bertrand (L'Archipel, 2018).
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