vendredi 13 avril 2018

A droite toute Emmanuel Macron, le liquidateur Par Soazig Quéméner et Louis Hausalter

Il fait table rase. De tout. Des partis politiques traditionnels, du dialogue social à la française, de la séparation de l'Eglise et de l'Etat… Mais, à trop bousculer le pays, Emmanuel Macron ne risque-t-il pas de le fracturer profondément ?
Et s'il fallait pour une fois rendre grâces à François Hollande ? D'un trait assez fielleux l'ancien président de la République a fracassé le nouveau monde selon Macron. « L'ancien monde a un nom, cela s'appelle la démocratie. Avec des partis politiques, des syndicats, un Parlement et des élus, une presse », a-t-il déclaré, selon des propos rapportés par le Monde au moment où son successeur semble avoir érigé ce dégagisme en mode de gouvernance. Car, de façon toujours plus flagrante, Emmanuel Macron traque les reliquats du « monde d'avant ». Et les corps intermédiaires, ces « institutions de l' interaction », comme les définit l'historien Pierre Rosanvallon, se révèlent comme les premiers martyrs de sa cause. Les derniers faux-semblants ont même disparu avec la réforme ferroviaire : aux yeux du gouvernement, quelle que soit la puissance de la grève à la SNCF, les syndicalistes sont relégués au rang de figurants. Même les réformistes ne sont plus considérés comme des partenaires privilégiés. C'est la première fois qu'un président ne se cherche pas d'allié, se sont inquiétés les vieux routiers des négociations sociales. « Aujourd'hui, on n'est ni dans la concertation ni dans la négociation, mais dans la consultation. Cette méthode Macron, utilisée également au moment des ordonnances de la loi Travail, a considérablement affaibli dans le corps syndical les leaders réformistes », observe l'universitaire Rémi Bourguignon. Une évidence qui apparaît à la sortie des interminables réunions avec la ministre des Transports, Elisabeth Borne, que les réformistes de l'Unsa quittent encore plus fâchés que le représentant de la CGT !
Mais que peut, au fond, Elisabeth Borne ? En s'entourant - à l'exception de Jean-Michel Blanquer - de ministres technos ou trop soulagés d'être rescapés de l'ancien monde pour moufter, Emmanuel Macron a tué une certaine forme de débat politique. Plus une tête ne dépasse ! Pour qualifier cet autoritarisme, le député socialiste Boris Vallaud, ancien condisciple de Macron à l'ENA, exhume son plus beau latin : Quod licet Jovis, non licet bovis (« Ce qui est permis à Jupiter n'est pas permis au bœuf »). Un choix d'autorité dont le locataire de l'Elysée ne finit pas de payer le prix : le manque de ténors pour monter au front se fait cruellement sentir. Elisabeth Borne a beau être envoyée au combat, son manque de notoriété et de poids politique reste indéniablement un handicap. « Elle connaît bien le sujet, elle connaît peut-être moins bien la politique », sourit Dominique Bussereau, titulaire du portefeuille sous Sarkozy. Où l'on touche la limite du gouvernement d'experts installé par Emmanuel Macron. « On n'arrive pas à parler à certaines catégories de la population parce qu'on manque de figures empathiques, regrette une députée LREM. Les sujets qui bloquent aujourd'hui, que ce soit la loi sur l' immigration avec Gérard Collomb ou la SNCF avec Elisabeth Borne, c'est en partie à cause de ça. » Quand pédagogie il y a, elle est aride. « Lorsque certains, y compris dans l'exécutif, disent qu'on fait la loi ferroviaire parce qu'elle nous est imposée par l'Europe ou parce qu' il faut réduire la dette, c'est catastrophique, enrage un autre député macroniste. Si on veut que l'opinion publique ne se renverse pas, il faut plutôt expliquer aux gens pourquoi cette réforme va leur apporter un meilleur service. Mais maintenant on est bloqué, on n'arrive pas à dire cela. »

"Surcommunication"

La semaine dernière, l'Elysée a bien demandé à Edouard Philippe de mouiller un peu plus la chemise. Le Premier ministre a donc ajouté à son agenda une interview matinale sur France Inter, avant d'accorder un entretien au Parisien, histoire de marteler que le gouvernement irait « jusqu'au bout ». Mais, à l'instar de son mentor Juppé dont la rigidité s'est fracassée sur la réalité du pays, Edouard Philippe peine à imprimer lorsqu'il s'agit de convaincre les Français. « Le problème, c'est que Philippe et Macron se ressemblent trop. Macron aurait dû prendre un type de terrain pour le compléter », pointe un député LR qui connaît bien le Premier ministre et voit avant tout en lui « un brillant conseiller d'Etat ».
Ancien ministre du Travail sous Sarkozy, Eric Woerth pointe « un manque de prise en compte de l'opinion des gens. Cette dimension d' éloignement, l'exécutif essaie de la rattraper par une sur communication qui paraît assez artificielle ». Comme cette double séquence interview inédite. Jeudi 12 avril, Emmanuel Macron s'exprimait devant Jean-Pierre Pernaut dans le journal télévisé le plus regardé d'Europe. L'occasion de s'adresser aux retraités impactés par la baisse de la CSG, mais également « à la France de province qui travaille et rentre chez elle déjeuner. Une France à qui le président a du mal à parler », observe un familier de l'Elysée. Le soir du dimanche 15 avril, le chef de l'Etat est attendu devant le tandem baroque Jean-Jacques Bourdin - Edwy Plenel. « Avec un vrai risque de se cannibaliser lui-même », poursuit cette source, pas franchement emballée par ce format, ni pas l'horaire d'ailleurs : « Un dimanche soir à cette heure-là, pile en même temps que le match PSG-Monaco, il ne peut compter que sur les reprises dans les journaux et les réseaux sociaux. » Mais qu'importent les conjectures sur le choix des journalistes et des médias, ces détails d'agenda. Les journalistes ne sont finalement, pour Emmanuel Macron, qu'une autre de ces catégories qui font barrage entre l'Elysée et le vulgumpecus.
Une société aux corps intermédiaires atrophiés, c'est une société « dans laquelle il est plus facile de manipuler l'opinion », a estimé François Hollande. Mais les Français sont en train d'en faire l'expérience : c'est aussi une société plus âpre, avec une conduite politique sans amortisseurs. Résultat, les territoires ressemblent de plus en plus à des Cocotte-Minute. « Je redoute que la reprise ne concerne que les métropoles et que les quartiers défavorisés en soient exclus, s'alarme le député UDI Francis Vercamer, élu de Roubaix, dans le Nord. Si on crie cocorico sur tous les toits, les gens vont vouloir leur part du gâteau. » Et de lancer cet avertissement : « Le gouvernement est en train d 'agréger des mécontentements un peu partout. Les cheminots, les professionnels de santé, les retraités, les automobilistes… Tout le monde gueule ! » La gronde dans les universités fait également office de révélateur. Très affaibli, le syndicat Unef ne contient plus les éléments les plus radicaux qui définissent eux-mêmes le périmètre de la lutte, comme c'est le cas à la fac de Tolbiac, à Paris (lire le reportage, p. 24). Cette tour de 22 étages n'est pas encore une « zone à défendre », comme Notre-Dame-des-Landes - il s'en est fallu de quelques voix en assemblée générale -, mais déjà une « commune libre ».

Cajôler les cathos

Voulait-il en expier les péchés ? Emmanuel Macron a intronisé le collège des Bernardins lundi 9 avril comme un nouveau Sacré-Cœur, cent quarante-sept ans après la révolte des communards. Devant la Conférence des évêques de France, le locataire de l'Elysée a fait une confession. Selon ce président garant de la Constitution et de son article 1 qui proclame une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, le lien entre l'Eglise et l'Etat se serait « abîmé ». Les représentants catholiques en ont soupiré d'aise quand les figures de la majorité issues du PS, Richard Ferrand ou Olivier Dussopt, lorgnaient leurs souliers. Comme si, en guise de corps intermédiaires, Emmanuel Macron ne voulait retenir que les représentants des religions. Jouer de la fibre identitaire plutôt que de la fibre sociale ? Ce n'est pas un hasard si le président progresse dans le cœur des sympathisants LR, avec 57 % de bonnes opinions dans le dernier tableau de bord Ifop pour Paris Match. Un discours qui lui permet de poursuivre son grand-œuvre : la destruction des partis politiques, avec une prédilection pour Les Républicains. « Il y aurait une vraie offre sociale-démocrate en face, il procéderait autrement et ne tiendrait pas le discours de lundi, mais là, il a décidé d'accélérer la fracturation de la droite », observe l'un de ses interlocuteurs. Les Français ne s'y sont pas trompés qui, selon un sondage Ipsos pour le Monde, sont désormais une majorité à situer La République en marche à droite de l'échiquier politique.
« La question essentielle, c'est pourtant le projet social, c'est-à-dire une perspective dans laquelle ceux qui n'ont ni la richesse ni le pouvoir peuvent se retrouver », s'alarme un ami du président, alors qu'une autre étude révèle la disparité croissante des soutiens de Macron dans l'opinion. De plus en plus de cadres, de moins en moins de catégories populaires. Visiteur régulier du président, François Bayrou lui a fait parvenir les deux discours qu'il a tenus, lors de l'université d'été du MoDem et lors de son congrès. « Si, à l'intérieur d 'une société, le sentiment est que l'efficacité est obtenue au détriment de la justice, alors je vous le dis, en France, ce serait un échec », avait notamment mis en garde le Béarnais.

Descente dans l'arène

Dans l'entourage macroniste, on fait mine de ne pas voir le problème. « J e n'ai pas du tout le sentiment d'une fracture terrible et je ne vois pas Emmanuel Macron se faire crier dessus dans les territoires », martèle une proche du chef de l'Etat. A l'Elysée, on assure que le président dispose de capteurs efficaces sur le terrain : « Il a noué des relations pendant la campagne. Il y a aussi les députés de la majorité et le courrier de l 'Elysée, qui fait l 'objet chaque semaine d 'une synthèse communiquée au président et à son équipe. » Et on dément tout isolement : « Descendre dans l 'arène, ce n'est pas un problème pour lui. N'oubliez pas que c' était son mode de fonctionnement quand il était ministre : il allait systématiquement à la rencontre des manifestants. »
Le député LREM Roland Lescure abonde : « L'histoire de Macron qui resterait sur son Olympe, je n'achète pas du tout. Il discute avec les agriculteurs, les retraités, les professionnels de santé… Il va au contact et il aime ça. » Au mois de février, devant l'Association de la presse présidentielle, Emmanuel Macron s'était pourtant adressé cette propre mise en garde : « Je suis le fruit d'une brutalité de l' histoire. D'une effraction parce que la France était malheureuse et inquiète. Si j'oublie tout cela, cela sera le début de l' épreuve. » Reste à savoir si le chef de l'Etat s'écoute lui-même.


 

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