Le
gouvernement veut réformer la SNCF sur le modèle de la Deutsche Bahn.
Mais Claus Weselsky, président confédéral du GDL, un grand syndicat
allemand de conducteurs, avertit : outre-Rhin,
Le
gouvernement d'Edouard Philippe a bâti sa réforme de la SNCF sur le
modèle de la Deutsche Bahn, qu’il donne en exemple aux Français. Marianne
a donc demandé à Claus Weselsky, président confédéral du GDL, un
syndicat allemand de conducteurs du rail fort de 34.000 membres, ce qui
s'est réellement passé lorsqu'outre-Rhin, les chemins de fer ont été
libéralisés et la Deutsche Bahn mise en concurrence. Et à ses yeux, le
bon modèle ferroviaire pour l’Europe n’est pas du tout l’Allemagne...
mais la Suisse ! Entretien.
Vous présidez un syndicat
puissant de conducteurs du rail, actif au sein de la Deutsche Bahn et de
la quasi-totalité de ses concurrents. Quelles ont été en Allemagne les
conséquences concrètes de la mise en concurrence de la Deutsche Bahn,
après 1994 ?
Claus Weselsky : Les
chemins de fer en Allemagne ont été libéralisés en 1994 sans que l’on se
soit à l’époque fixé des règles claires. Résultat, alors qu’on pouvait
autrefois régler sa montre sur l’heure de passage d’un train,
aujourd’hui nos trains ont quatre ennemis : le printemps, l’été,
l’automne et l’hiver. Ils connaissent des problèmes en toute saison !
Pendant des décennies, les investissements dans nos infrastructures
ferroviaires ont été négligés et les effectifs si drastiquement réduits
que les trains allemands ont perdu tous leurs avantages sur les autres
modes de transport.
En outre, dans un premier temps, cette
concurrence s’est faite exclusivement sur le coût du travail et donc les
salaires des conducteurs de trains et des personnels à bord des rames.
Cela a même créé une spirale dangereuse, tirant tout le monde vers le
bas. Rendez-vous compte : il y a quelques années, des sociétés privées
de chemin de fer opérant à l’est de l’Allemagne rémunéraient encore
leurs cheminots de traction 1.600 euros brut mensuels ! Heureusement,
des salaires aussi bas n’ont aujourd'hui plus cours. Notre syndicat
GDL, qui représente depuis plus de 150 ans les vrais intérêts des
conducteurs, a dû faire preuve de combativité pour négocier dans presque
toutes les entreprises ferroviaires qui opèrent en Allemagne des
accords collectifs corrects garantissant une concurrence équitable. Mais
nos conducteurs rêvent des niveaux de salaire et des acquis sociaux des
cheminots français.
Notre gouvernement prend la Deutsche Bahn comme modèle
d'organisation. Pour votre part, vous réclamez déjà une deuxième réforme
du rail allemand. Qu'est-ce qui cloche?
Maintenant
seulement, on essaye avec beaucoup d’argent de développer les voies,
les rails. Malheureusement, les erreurs de fond ne sont pas abordées.
Plutôt que d’injecter des milliards dans des projets phares comme
Stuttgart 21 (le réaménagement de la gare et du nœud ferroviaire de
Stuttgart, ndlr), c’est le réseau fret et voyageurs qu’il faut rénover
puis cadencer intégralement ! Cela n’a en effet aucun intérêt de faire
siffler des trains à 300 kilomètres heure sur les voies pour faire
ensuite lanterner une heure les voyageurs en correspondance. L’usager
voyageur veut arriver à l’heure, en sécurité et ce, en toute saison. En
Suisse, pays qui s’est donné les moyens de ces investissements et de ces
cadencements, les trains fonctionnent correctement !
Pour que
nous puissions cadencer les trains à l’échelle du pays, DB-Netz, la
filiale qui gère le réseau (l'équivalent de SNCF réseau, ndlr), DB
Energie, celle qui l’alimente, et DB Station et service (gestion des
gares) doivent fusionner dans une seule et même société. Et cette
nouvelle entité aura grand besoin de cheminots qui connaissent à fond un
système ferroviaire, par nature complexe. Les chemins de fer allemands
doivent aussi embaucher massivement. Nous manquons déjà de plus de 1.000
conducteurs de locomotives. Or ceux qui sont en poste ont en moyenne
plus de 50 ans, ils partiront donc prochainement en nombre en retraite.
Les
agents de la SNCF en France sont en grève aussi pour défendre leur
statut, leurs parcours de carrière. En Allemagne, avez-vous vécu la fin
de l’embauche des collaborateurs de la DB sous statut public comme un
recul social ?
Les employés de la DB, qui conservent un
statut de fonctionnaire, sont plus protégés que des cheminots sous droit
privé. Cependant en Allemagne, nous ne pouvons faire grève légalement
contre cet arrêt du recrutement de conducteurs sous statut public. D’une
part, parce que chez nous, les agents publics n’ont pas le droit de
faire grève. D’autre part, parce que les syndicats n’ont pas le droit de
lancer sur les lieux de travail des mobilisations de nature politique.
Donc nous ne pourrons pas revenir en arrière. Cependant, grâce à la
solidarité de nos adhérents, nous luttons pour décrocher de meilleures
rémunérations et conditions de travail pour les conducteurs et les
personnels de bord.
Quel modèle devrait selon vous inspirer l’Europe si elle veut faire preuve d’ambition dans le ferroviaire ?
Nous
devrions adopter une politique ferroviaire prenant en exemple le modèle
suisse. Les citoyens helvètes aiment leurs trains parce que ces
derniers les acheminent en toute sécurité, sans encombre, ponctuellement
du point A au point B de leur choix. Le ferroviaire compétitif, c’est
aussi simple que cela !
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