Promesses déçues : comment les étudiants boursiers ont été lésés par Parcoursup
Avec Parcoursup, les recteurs et les facs doivent fixer des quotas boursiers censés mieux fonctionner que sous APB. Sauf qu'entre les prestigieuses facs parisiennes et les autres, les quotas sont fort différents....
Le gouvernement les présente comme l'une des grandes avancées
sociales de Parcoursup : désormais, des quotas minimaux de boursiers
sont fixés dans chaque filière publique sélective ou en tension. L'objectif avec cette mesure, arrivée dans la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE) à la faveur d'un amendement du groupe socialiste à l'Assemblée, est de "favoriser l'accession du plus grand nombre à un diplôme d'enseignement supérieur".
A la manière d'un "bonus", les taux décidés par les recteurs de chaque
académie doivent assurer aux lycéens les moins favorisés de ne pas être
éliminés dès le début de la sélection. Parcoursup formalise ici ce qui
relevait de la "petite cuisine" interne avec Admission Post-Bac (APB).
L'ancien système permettait parfois, à dossier égal, de privilégier les
candidats boursiers dans certaines filières. Problème : plus organisés,
les quotas version Parcoursup ne sont pas plus égalitaires.
Trouver
l'ensemble des quotas de boursiers de chaque formation n'est pas chose
aisée. Pour avoir une idée de la tendance générale, il faut relever les
seuils de chacune des formations proposées sur le site de Parcoursup. Ce
colossal travail de fourmi a été mené pour l'Île-de-France par les
chercheurs Milan Bouchet-Valat, Marie Paule Couto et Léonard Moulin, et
le constat est sans appel : les différences entre universités - et
parfois même entre filières - sont criantes. Si, pour beaucoup d'entre
elles, les taux de boursiers oscillent entre 10 et 20%, certaines
doivent à peine en accepter 5%.
Moins de boursiers pour les universités parisiennes
Autre
constat : les universités du centre de la capitale, comme Paris 2
Panthéon-Assas, ou Paris 3 Sorbonne Nouvelle, sont libres d'accepter
moins de 6% de boursiers. A l'inverse, celles de banlieue, comme Paris
Est-Créteil (11,2%) ou Paris 13 Nord (15,4%) doivent en accueillir au
minimum 12%. "C'est un phénomène que l'on constate particulièrement à Paris, précise Léonard Moulin, chargé de recherche à l'institut national d'études démographiques. La
capitale est l'un des seuls endroits en France où les universités sont
extrêmement rapprochées géographiquement et où les écarts sont les plus
flagrants".
Ces différences de taux s'accroissent encore
davantage lorsque l'on se penche sur les filières de droit parisiennes,
championnes toutes catégories des inégalités entre boursiers. Ainsi,
l'université Paris 13 Villetaneuse-Bobigny accueillera l'année prochaine
plus de 18% de boursiers, tandis que celle de Paris 1 Panthéon Sorbonne
ne doit en recevoir… que 2%. Et l'écart devient de plus en plus
aberrant lorsqu'on compare deux filières d'une même université, situées
dans deux zones géographiques différentes. Si la filière de
Droit-Economie-Gestion de Panthéon-Assas s'est vu attribuer un taux
minimum de 2%, son antenne en banlieue, à Melun, doit, quant à elle,
impérativement accepter plus de 10% de boursiers.
"Hypocrisie du message gouvernemental"
Devant
ce gouffre, les enseignants du supérieur sont nombreux à pointer, à
l'exemple d'Anne Bory, maîtresse de conférences en sociologie à la
Faculté des Sciences économiques et sociales, "l'hypocrisie du message gouvernemental" : "Ce n'est pas en intégrant 2% de boursiers que l'on va favoriser les étudiants des classes populaires ! s'étrangle-t-elle. Si
le gouvernement veut permettre la discrimination positive des
boursiers, pourquoi il y en aurait-il moins à Assas qu'à Roubaix ? A
Paris qu'à Melun ?"
Pourquoi une telle différence entre les universités ? Beaucoup d'enseignants ne s'avancent pas, pointant seulement "le manque de transparence" du processus d'affectation de Parcoursup. "Il n'y a pas réellement d'information sur la manière dont ces taux ont été fixés, confirme Leïla Frouillou, maîtresse de conférences en sociologie à l'université Paris-Nanterre. Aucune
règle n'a été publiée, aucune consigne. On ne sait pas si ça résulte de
choix des académies, des recteurs, on ne peut que faire des
hypothèses..."
Autocensure des étudiants
Il existe tout de même quelques pistes d'explication. La première est inscrite dans le texte de la loi ORE qui indique que, dans les filières en tension, "l'autorité académique fixe un pourcentage minimal de bacheliers" boursiers, "en fonction du rapport entre le nombre" de candidats à la formation "et le nombre total de demandes".
Les 2, 10 ou 20% ne sont donc pas tirés d'un chapeau et sont, du moins
en partie, issus d'un calcul mathématique. En clair, cela signifie que
pour trouver leurs taux, les recteurs doivent effectuer un simple
produit en croix : le nombre de dossiers de boursiers s'y présentant
divisé par le nombre total de candidatures, multiplié par cent. En
théorie, le rectorat n'a donc eu qu'à automatiser ce processus pour
fixer l'ensemble des quotas dans chaque filière. Contactée, l'académie
de Paris nie l'existence de tout "processus mécanique" et
affirme que plusieurs facteurs ont été pris en compte : le nombre de
candidats, mais aussi la situation de la filière l'an passé ainsi que
les souhaits des présidents d'université, certains souhaitant moins et
d'autres plus de boursiers.
"Le lycéen va rationaliser son choix. Il va estimer que cette université est trop difficile à atteindre et refuser d'y aller"
Pour Léonard Moulin, l'hypothèse la plus probable est celle d'un calcul, qui découle du comportement des lycéens eux-mêmes : "Ces disparités que l'on observe sont au départ moins le fait des facs que des disparités dans les candidatures, dès le départ", estime-t-il. C'est ici que se trouverait la raison fondamentale des disparités entre les universités : "Dans
l'idéal, on devrait évidemment avoir le même nombre de boursiers dans
toutes les universités, mais souvent, ils se censurent", remarque-t-il. Par peur de s'aventurer dans des universités dites "prestigieuses", de devoir louer un studio à Paris, même aidé d'une bourse, les lycéens de banlieue renoncent à candidater. "Le lycéen va rationaliser son choix, développe Léonard Moulin. Il va estimer que cette université est trop difficile à atteindre et refuser d'y aller".
Résultat : seuls les meilleurs des meilleurs boursiers, qui ont vaincu
l'autocensure, parviendront peut-être à avoir une place dans les
universités parisiennes les plus prisées. Les autres resteront chez eux.
"Avec Parcoursup, les étudiants sont en principe libres d'aller où ils veulent, remarque Pierre Chantelot, du syndicat SNESUP-FSU. Mais
le gouvernement joue clairement sur l'autocensure des étudiants pour
mieux gérer leurs flux : les étudiants de banlieue restent en banlieue
et les plus aisés restent ou s'installent à Paris."
Le choix aux facs
Reste
que les universités sont en réalité loin d'être démunies face à cet
effet pervers. Assas ou la Sorbonne auraient très bien pu faire le choix
d'augmenter leur taux minimum de boursiers : rien ne l'interdit dans la
loi ORE, au contraire. "J'ignore s'ils ont uniquement choisi de se
référer aux demandes minimum, mais il y a quand même sans doute une
grande marge de manoeuvre, regrette Leïla Frouillou. On
pourrait avoir une interprétation plus large de ce minimum, en se disant
qu'il s'agit d'un taux d'affichage, d’un taux objectif. S'il ne peut
pas être atteint, ce n'est pas un problème : on affectera d'autres
personnes". Une manière de créer un appel d'air et d'inciter les candidats boursiers à davantage candidater l'année suivante : "Cela permettrait d'assurer une meilleure mixité sociale". De quoi, à ce moment, apporter un vrai "bonus" aux candidatures des bacheliers boursiers.
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