jeudi 25 janvier 2018

"Les riches ne sont jamais aussi bien portés" selon Oxfam


VIDEO. Rapport sur les inégalités: «Les riches ne se sont jamais 

aussi bien portés», selon Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam




INTERVIEW Un rapport de l'ONG Oxfam, publié ce lundi, estime que 82% de la richesse 
créée l'an dernier dans le monde a terminé entre les mains du 1% le plus riche de la 
population de la planète...
Propos recueillis par T.L.G.
 
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Un membre de l'ONG Oxfam déguisé en «riche».
Un membre de l'ONG Oxfam déguisé en «riche». — EMMANUEL DUNAND / AFP

Tout roule pour les milliardaires. L’an dernier, 82 % de la richesse créée dans le monde a terminé entre les mains du 1 % le plus riche de la population de la planète, a dénoncé lundi Oxfam dans un rapport.
L’ONG, qui publie son rapport sur les inégalités la veille du forum économique mondial de Davos (Suisse), lance un appel aux dirigeants pour que « l’économie fonctionne pour tous et pas uniquement pour une riche minorité ». 20 Minutes a interrogé Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam sur ce rapport.






Le nombre de milliardaires a connu l’année dernière sa plus forte hausse de l’histoire. Comment l’expliquer ?

Ce qui est intéressant de rappeler, c’est qu’il y a un nouveau milliardaire tous les deux jours, et que la richesse des milliardaires continue d’augmenter. Sur une trajectoire plus longue, leur patrimoine a augmenté de 13 % depuis 2010 alors que la rémunération de la main-d’œuvre n’a, elle, progressé que de 2 % par an. On voit bien le décalage : des riches qui ne se sont jamais aussi bien portés, et des salariés qui ne retrouvent pas dans leur main le fruit de leur travail. La cause ? C’est que le système économique déraille. Les inégalités se créent notamment au sein même des entreprises. Ces dernières tirent à la baisse les salaires, et placent ensuite leurs bénéfices dans des paradis fiscaux, échappant ainsi à leur juste part d’impôt. Le tout pour maximiser les dividendes versés aux actionnaires et donner toujours des revenus plus importants aux PDG. Le rapport montre aussi que l’argent des milliardaires fructifie en l’état grâce à leurs placements. La richesse n’est plus le produit de leur travail…

Dans le rapport, vous expliquez que « ce boom incroyable » ne bénéficie pas aux personnes les plus démunies ?

Cela va contre l’argument très en vogue en France en ce moment de la théorie du ruissellement. Les plus pauvres ne bénéficient pas de cette richesse, on le voit à travers tous les chiffres qui montrent un accroissement des inégalités. 3,7 milliards de personnes, soit 50 % de la population mondiale, n’ont pas touché le moindre bénéfice de la croissance mondiale. La fortune des milliardaires a augmenté de 762 milliards, c’est-à-dire sept fois le montant nécessaire par an, pour sortir de l’extrême pauvreté les personnes qui en sont touchées. On le voit aussi en France, le nombre de personnes en situation de pauvreté a augmenté de 1.2 millions en 20 ans, alors que la richesse des milliardaires n’a cessé d’augmenter : depuis 2009, la richesse cumulée des milliardaires a été augmentée par trois

On trouve un chiffre encourageant dans le rapport : « entre 1990 et 2010, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté (à savoir avec moins de 1,90 dollar par jour) a été divisé par deux, et continue de décroître depuis ».

Il faut s’en féliciter. Mais la réalité reste très différente d’un continent à l’autre. Il y a eu une réduction de l’extrême pauvreté en Asie et notamment en Chine mais les très pauvres ont en revanche augmentée en Afrique. On s’aperçoit aussi qu’on atteint un niveau plancher dans la réduction des pauvretés : si on ne s’attaque pas à la redistribution des richesses, on n’arrivera pas à y mettre fin.

On note des inégalités hommes-femmes au bas comme en haut de l’échelle…

Sur 10 nouveaux milliardaires, 9 sont des hommes. Tout en bas de l’échelle de production, ceux et celles qui créent des richesses, assemblent nos objets électroniques, produisent nos vêtements, cultivent nos aliments sont essentiellement des femmes. Elles gagnent moins que les hommes et sont surreprésentées dans les emplois les moins bien payés et précaires.

Comment se situe la France dans ce tableau ?

La France n’est pas épargnée par la crise des inégalités, et est un des pays où l’écart s’accroît le plus. Notre modèle est relativement plus égalitaire mais dans les années 1990, il y a eu un accroissement des inégalités. Deux chiffres en témoignent : 10 % des plus riches détiennent plus de la moitié des richesses alors que les 50 % des plus pauvres se partagent à peine 5 %. Ensuite, la France est la championne d’Europe pour le montant de dividendes versés par les entreprises à ses actionnaires. On est passé d’un taux de reversement des dividendes aux actionnaires de 30 % dans les années 2000 à plus de 50 % aujourd’hui.

A la veille du forum de Davos, pensez-vous que les acteurs économiques sont sensibles à ce discours ? Que préconisez-vous pour réduire les inégalités ?

On a le sentiment d’un double discours : le constat alarmant de l’augmentation des inégalités est aujourd’hui partagé par beaucoup d’acteurs, de la Banque mondiale à Emmanuel Macron. Mais de l’autre côté, on remarque un désinvestissement de fonds dans la fonction publique, des baisses d’impôts pour les plus riches aux États-Unis ou en France. C’est ce double discours qu’on veut interroger à Davos. Concrètement, on lance à cette occasion une campagne citoyenne pour interpeller le gouvernement et l’inciter à adopter une loi contre les inégalités à travers trois piliers principaux : le partage des richesses au sein des entreprises, la lutte contre l’évasion fiscale, et redonner à l’impôt un rôle de redistribution des richesses

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