Julien Chuzeville poursuit son travail d’historien du mouvement ouvrier sur la période de la Première Guerre mondiale et des premières années du PCF, avant sa rapide « bolchevisation » qui fut à l’origine de la fondation de notre revue. Il remet à leur juste (et importante) place des militants comme Fernand Loriot et Pierre Monatte, sait contextualiser les dynamiques et les choix et se placer dans les logiques des générations militantes de l’époque : dégoût de l’Union sacrée, besoin de retrouver la lutte de classe avec des perspectives socialistes révolutionnaires, dépassement des clivages d’avant-guerre dans une période de remontée des mobilisations, sentiment d’urgence, d’imminence des possibilités anticapitalistes, besoin de refondation d’organisations de lutte débarrassées de la collaboration avec l’État et la bourgeoisie, solidarités forgées ou renforcées dans la répression politique, etc.
La guerre avait quasiment tout emporté, la faillite avait été quasiment totale : le socialisme international et même une bonne partie des anarchistes avaient sombré. C’est grâce au syndicalisme révolutionnaire que la flamme internationaliste a survécu et, avec notamment le Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI) devenu après-guerre Comité de la IIIe Internationale, qui a initié un redressement du mouvement ouvrier. La scission au Congrès de Tours « était, en fait inévitable. Les débats sur l’attitude à adopter face à cette guerre longue et particulièrement meurtrière […], puis l’attitude face à la situation perçue comme révolutionnaire en Europe, avaient rendu la scission déjà effective dans les esprits ».
Si la séparation entre PS et PC devait par la suite diviser la gauche pour plusieurs décennies, les deux organisations étant actuellement en piteux état, il ne faut pas faire d’anachronisme : « Loin d’être considérée comme une rupture avec le socialisme, la transformation en SFIC est vue comme la réaffirmation d’un socialisme plus authentique. » La « bolchevisation » n’était pas encore passée par là.
Les militantes féministes passèrent toutes au PC, nombre d’entre elles devaient d’ailleurs écrire bientôt dans La RP. De nombreux syndicalistes révolutionnaires rejoignirent aussi le parti, dans une recomposition sur des clivages révélés par la guerre. Pourtant, le dynamique PC fondé ne décollait pas. Julien Chuzeville considère qu’il avait tort d’affirmer la révolution imminente alors qu’après 1921 les luttes sociales refluèrent, créant ainsi un désarroi sur le long terme. La rapidité de sa dégénérescence s’en expliquerait : « Comprenant mal les causes de son recul, le PC cherche à y pallier par des mesures internes qui non seulement n’arrangeront rien, mais même accentueront le problème. Cette situation facilite la progressive mise sous contrôle par l’IC et l’instauration d’un appareil de direction bureaucratique aux ordres de, et payé par Moscou. C’est un cercle vicieux : l’instabilité interne du PC renforce la mise sous tutelle par le Komintern, et cette dernière crée de nouvelles tensions au sein du parti. »
Alors que les militants zimmerwaldiens avaient été les pionniers du ralliement de la SFIO à la Nouvelle Internationale, « les anciens du CRRI sont particulièrement présents dans les rangs oppositionnels, ils quittent le parti ou en sont exclus principalement entre 1924 et 1927 ». Après l’exclusion de Monatte et Rosmer, le PC est déjà un autre parti, aux ordres de la bureaucratie de Zinoviev, prêt à passer au stalinisme en germe.
Ici comme régulièrement, les éditions Libertalia sortent un livre tout à fait bienvenu sur le fond et sur la forme, d’un rapport qualité-prix devenu rare.
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