Par Emnet-GEBRE
Si aujourd’hui les déplacements
provoqués par les situations de violence ou des conflits s’imposent
comme une évidence, ceux dus aux aléas environnementaux, notamment ceux
dus aux impacts des changements climatiques n’en sont pas moins réels et
préoccupants. Il faut convenir que les changements climatiques sont
réputés être l’une des causes majeures de déplacements de personnes du
XXIe siècle. De la submersion des fameuses îles du Pacifique à la
désertification qui ne cesse de progresser en Afrique, les impacts des
changements climatiques bouleversent le quotidien, les moyens de
subsistance des communautés, menacent la vie des personnes et les
obligent à quitter leur lieu d’habitation habituel.
En 2016, d’après l’Internal displacement
monitoring centre, 24,7 millions de personnes ont été déplacées à cause
des catastrophes naturelles dont la grande majorité est liée aux
facteurs climatiques1.
Entre 2008 et 2016, près de 26,4 millions de personnes se sont
déplacées chaque année : ce qui signifie qu’une personne se déplaçait
chaque seconde. Il faut rappeler que 95 % de ces déplacements se
produisent dans les pays en développement. Les prévisions sont tout
aussi alarmantes : on estime que 200 à 250 millions de personnes vont
potentiellement être déplacées2. Un récent rapport de la Banque Mondiale3
estime qu’en l’absence d’importantes mesures en matière climatique et
dans le domaine du développement, l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud
et l’Amérique latine pourront compter près de 143 millions de migrants
internes d’ici 2050, soit 2,8 % de la population de ces trois régions. À
l’instar des îles du Pacifique qui sont menacées par la submersion, de
nombreux États d’Asie du Sud dont le Bangladesh font désormais figure de
laboratoire des changements climatiques. L’élévation d’un mètre du
niveau de la mer, scénario possible, est susceptible de submerger 1/5 du
territoire et de pousser 30 millions de Bangladais à se déplacer dans leur propre pays.
La Banque mondiale avance également que les régions du bassin du Gange
au Bangladesh, notamment les régions des terres cultivées, pourront
subir une forte pression démographique et seraient susceptibles
d’accueillir près de 1,3 million de personnes d’ici 2050 et 10 % de la
population dans ces zones pluviales seraient des migrants climatiques.
De la difficulté à estimer avec
précision les migrations environnementales futures à la difficulté à
isoler avec exactitude le facteur « environnemental » et à cerner les
schémas migratoires, de nombreuses zones d’ombre subsistent à plusieurs
niveaux rendant ainsi nécessaire la poursuite des études empiriques sur
le phénomène. Les études menées jusqu’à présent montrent que les
déplacements liés aux changements environnementaux globaux sont
davantage de nature interne qu’internationale. C’est notamment une des
raisons pour laquelle le droit international des réfugiés ne permet pas
de protéger une grande partie des personnes qui fuient leur lieu
d’habitation habituel à cause des aléas environnementaux, car ce droit
ne s’applique qu’aux personnes traversant les frontières étatiques.
LA MIGRATION ENVIRONNEMENTALE
ET LE DROIT INTERNATIONAL DES RÉFUGIES
Au-delà du critère de franchissement des
frontières, le critère central de la notion de réfugié est la crainte
d’être persécuté. En effet, bien que les personnes victimes des
dégradations environnementales puissent démontrer qu’elles ressentent
une crainte raisonnable, il faut qu’elles prouvent que l’origine de leur
crainte est uniquement la persécution. La Convention de Genève ne
donnant aucune définition du terme « persécution », les États possèdent
un pouvoir d’appréciation discrétionnaire leur permettant d’interpréter
cette notion de manière plus ou moins large en fonction des
circonstances de chaque cas. La persécution est, en principe, reconnue
lorsqu’il y a une atteinte directe et grave aux droits les plus
fondamentaux. Or, au regard de cela, les atteintes à l’environnement
comme les impacts des changements climatiques4 ne semblent pas atteindre le seuil d’intensité requis par la notion de persécution.
Par ailleurs, seules les personnes,
victimes de persécution en raison de leur race, de leur religion, de
leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à
un groupe social sont éligibles au statut de réfugié. S’agissant des
impacts des changements climatiques, ils frappent de manière
indiscriminée, certaines personnes en sont plus affectées que d’autres
non à cause de leur race, de leur religion ou de leur nationalité, mais
plutôt en raison de leurs positionnements géographiques ou de leur
niveau de développement.
De même, l’existence d’une protection de
la part de leur État d’origine, fût-elle imparfaite, peut les rendre
inéligibles au statut de réfugié. En effet, les réfugiés ne peuvent
espérer obtenir aucune protection adéquate de leur pays d’origine ou de
résidence, car leur gouvernement est lui-même responsable par action ou
par omission des persécutions dont ils sont victimes. Ainsi, ces
derniers n’ont d’autre choix que de demander une protection
internationale en se tournant vers la communauté internationale. Les
victimes d’aléas climatiques ou environnementaux, quant à elles, peuvent
du moins théoriquement aspirer à une protection nationale.
Des États comme la Nouvelle-Zélande
avaient récemment manifesté leur volonté de créer une nouvelle catégorie
de visa pour les déplacés climatiques. Cet appel du gouvernement
néo-zélandais est intervenu à la suite du rejet par les tribunaux
néo-zélandais des demandes d’asile introduites par des habitants des
îles de Kiribati et Tuvalu fuyant les impacts des changements
climatiques. Ce dispositif destiné pourtant à combler les lacunes de
protection résultant d’une application restrictive des critères définis
par la Convention de Genève ne concernerait qu’une centaine de personnes
par an.
L’UNION EUROPÉENNE ET LES DÉPLACEMENTS ENVIRONNEMENTAUX
En vertu de la directive 2011/95 UE du
Conseil de l’Union européenne du 13 décembre 2011, dite « directive
qualification », les aléas climatiques ou environnementaux de manière
générale ne sont pas considérés comme des causes admissibles de départ
justifiant la reconnaissance du statut de réfugié ou l’attribution d’une
protection internationale au titre de la protection subsidiaire.
Néanmoins, la directive prévoit la possibilité pour les États membres de
maintenir ou d’adopter des normes qui assouplissent les conditions
d’octroi du statut de réfugié. Cette disposition n’a toutefois été
concrétisée que par la Suède et la Finlande qui restent les rares États
membres dont la législation interne prévoit un droit d’asile aux
victimes de catastrophes naturelles. Bien qu’il ne prévoie pas
explicitement dans sa législation « l’asile environnemental », le
Danemark a déjà accordé l’asile à des personnes de nationalité afghane
fuyant la sécheresse. En dehors de ces initiatives étatiques isolées, il
faut relever qu’à ce jour, aucun instrument de l’Union européenne
n’envisage la protection des déplacés environnementaux même si quelques
tentatives de reconnaissance ont été entreprises.
En 2001, les députés membres du groupe
des Verts avaient essayé en vain d’insérer une référence aux « réfugiés
environnementaux » dans un rapport du Parlement européen relatif à la
politique commune d’asile. En 2004, Marie-Anne Isler-Béguin et Jean
Lambert, deux députés membres du parti écologiste avaient demandé dans
une Déclaration écrite au Parlement européen la mise en place d’un
statut communautaire de « réfugié écologique ». En 2008, le directeur
général des relations extérieures de la Commission européenne avait
toutefois laissé sous-entendre que le sort des déplacés environnementaux
n’est pas la priorité de l’Union européenne pour le moment5.
Dix ans plus tard, la situation n’a pas évolué car l’Union n’a toujours
pas apporté de réponses concrètes au phénomène malgré l’appel de
certaines institutions notamment du Parlement qui ne cesse de rappeler
la nécessité de repenser les mécanismes de protection existants.
Le 10 octobre 2016, le Parlement
européen a adopté un rapport sur « les droits de l’homme et la migration
dans les pays tiers » dans lequel il « insiste sur la nécessité pour
l’Union et ses États membres de soutenir les pays les moins avancés
(PMA) dans le cadre de la lutte contre le changement climatique afin
d’éviter […] de voir s’accélérer le nombre de déplacés
environnementaux ». Il poursuit en demandant à « l’Union de
participer activement au débat sur le terme de réfugié climatique ainsi
qu’à l’élaboration éventuelle d’une définition au regard du droit
international6
». Plus récemment, dans un rapport du 22 février 2017 sur la gestion
des flux de réfugiés et de migrants, et sur le rôle de l’action
extérieure de l’Union, le Parlement européen a réitéré la nécessité pour
l’Union européenne et ses États membres de reconnaître les effets du
changement climatique sur les déplacements de masse. Il demande à tous
les États « d’étendre la définition du statut de réfugié pour inclure
les personnes déplacées contre leur volonté par la pauvreté extrême, le
changement climatique ou des catastrophes naturelles ». La nécessité de
prévoir un statut spécifique en faveur des déplacés climatiques a été
également soulignée7.
En France, à la veille de la conférence
de Paris (COP21) en 2015, le Sénat avait adopté une résolution visant à
la promotion de mesures de prévention et de protection des déplacés
environnementaux dans laquelle il « invite la France à promouvoir, dans
le cadre de la COP21 ainsi qu’au sein des institutions européennes et
internationales, la mise en œuvre de mesures de prévention et de
protection des déplacés environnementaux présents et à venir, qui ne
bénéficient aujourd’hui d’aucune reconnaissance 8».
Le projet de loi immigration et asile présenté au Conseil des ministres
du 21 février 2018 n’apporte aucun changement d’ordre substantiel à la
conception de la protection internationale accordée jusque-là par la
France.
LA PROBLÉMATIQUE DES DÉPLACEMENTS CLIMATIQUES
DANS LE CADRE DU RÉGIME INTERNATIONAL DU CLIMAT
Après le refus des États d’insérer la
question migratoire dans l’Accord de Copenhague, il a fallu attendre les
Accords de Cancún (COP 16) en 2010 pour que les déplacements dus aux
impacts des changements climatiques attirent l’attention de la
communauté internationale. C’est à partir de la Conférence de Cancún que
le régime international du climat a commencé à envisager la migration
comme une stratégie d’adaptation aux impacts des changements
climatiques. Cela signifie donc que les États développés doivent en
principe aider les pays en développement, parties particulièrement
vulnérables, à faire face au coût des migrations au titre de leur
obligation en matière d’adaptation posée par la Convention-cadre des
Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). La prise en
compte de la question migratoire par le régime climatique au titre de
l’adaptation aux changements climatiques peut aussi laisser ouverte des
perspectives de financement des programmes de protection destinés aux
déplacés climatiques.
À la Conférence de Varsovie (COP 19) en
2013, la mobilité humaine a été aussi reconnue comme l’un des principaux
types de pertes non économiques liées aux changements climatiques. Par
la même occasion, les États se sont également mis d’accord pour la mise
en place d’un mécanisme international relatif aux pertes et préjudices
liés aux incidences des changements climatiques (Mécanisme de Varsovie).
Toutefois, nous sommes encore loin de la mise en place d’un véritable
système d’indemnisation des préjudices résultant des changements
climatiques. Au titre des arrangements institutionnels qui doivent être
renforcés pour soutenir la mise en œuvre des obligations relatives aux
pertes et préjudices, la Conférence des Parties à Paris avait prévu la
mise en place d’une équipe spéciale (Task force) qui a été établie en
mars 2017. Si l’équipe spéciale a été pour l’instant chargée de
développer des recommandations afin de prévenir, minimiser et répondre
aux défis posés par le déplacement lié aux impacts des changements
climatiques, elle pourrait dans le futur acquérir certaines compétences
notamment opérationnelles nécessaires à la protection des déplacés
climatiques.
L’Accord de Paris de 2015 a également
introduit dans son préambule une référence expresse aux droits de
l’homme accompagnée d’une référence aux « migrants ». Cette disposition
reste la moins ambitieuse parmi les options proposées aux États dans le
texte de négociation. Elle ne dispose pas non plus de force obligatoire
contraignante. Mais, il n’empêche que les COP à venir pourront
effectivement l’exploiter et la rendre opérationnelle au service d’une
protection en faveur des déplacés climatiques.
Enfin, beaucoup d’espoir avait aussi été
placé sur le Pacte mondial sur les migrations sûres, ordonnées et
régulières qui sera adopté à l’ONU en 2018. On avait espéré que le futur
pacte mondial mît en œuvre des mécanismes innovants à la hauteur des
défis posés par les déplacements climatiques. Mais il semble qu’à la
lecture du projet, les causes profondes des déplacements de personnes,
notamment les dégradations environnementales et les changements
climatiques, n’ont pas obtenu une attention suffisante.
Reste à savoir si la piste d’un instrument international portant
spécifiquement sur les déplacements environnementaux ne mérite pas
d’être explorée davantage.
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