Par Laurence Dequay
Emmanuel Macron rêve de réformer le pays sans s'appuyer sur les corps
intermédiaires. Conséquence : le rapport de force se construit sur le
pavé.
Les syndicats n'appartiennent pas à sa culture. Dès 2015, Emmanuel
Macron pestait contre ces organisations syndicales conservatrices qui
piétinaient son premier projet de loi réformant le travail du dimanche
et les prud'hommes. Candidat, le leader d'En Marche, avec ses
conseillers, les envisageait «comme des freins à lever plus que des partenaires pour mener ses réformes»,
selon Luc Bérille, secrétaire général de l'Unsa. Au siège de la CFDT,
Macron exaspérait, en expliquant doctement à ces cadres réformistes que
les syndicats devraient se contenter de défendre les intérêts des
salariés dans les entreprises et dans les branches, l'Etat portant seul
l'intérêt général. «Il veut nous faire rentrer à la niche ! tonnait une proche de Laurent Berger. La démocratie sociale ne fonctionne pas comme ça !»
Au
printemps 2018, peu d'inflexion. L'exécutif veut réformer la SNCF par
ordonnances, refondre les contrats des agents publics, malgré la
convergence le 22 mars, place de la Bastille, au nom de la défense du
service public, de deux cortèges de cheminots et de fonctionnaires. «La méthode Macron vise, je le crains, à délégitimer les syndicats, en les opposant au pouvoir politique, critique Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU. Indifférent,
le président n'a jamais rencontré les organisations de la fonction
publique. Ses ministres nous reçoivent sans engager le travail avec
nous. Le document d'orientation qui nous a été remis s'attaque au
paritarisme. Nous espérons un changement.»
« Il ne faudra pas venir nous chercher pour jouer les pompiers »
Des propos cinglants qui entrent en résonance avec ceux de Laurent Berger (CFDT) dans les Echos : «La méthode Macron, c'est "vous écoutez, je tranche".»
Pour imposer au chef de l'Etat un débat de fond sur la réforme du
ferroviaire - laquelle ne se résume pas à la suppression de leur statut
-, les cheminots ont donc innové avec un calendrier de trente-six jours
de grève perlée. «Emmanuel Macron peut espérer engranger un point
politique en passant en force à la SNCF. Mais réformer cette dernière
sans le soutien des cheminots, c'est en revanche hyper-risqué et
contre-productif», avertit Luc Bérille - l'UNSA est, derrière la CGT, le deuxième syndicat à la SNCF.
Echaudés
par des ordonnances sur le travail jugées plus favorables aux
entreprises qu'aux salariés, les syndicats s'alarment aussi du recul du
paritarisme, en matière de formation, de logement social et d'assurance
chômage. Car l'Etat reprend aussi en main l'Unedic ! Non seulement il
assignera aux partenaires sociaux une trajectoire financière, mais il
leur fixera aussi des objectifs particuliers. «Il y a toujours des concertations, souligne Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière. Je regrette cependant que ce champ du paritarisme se réduise, car c'est une excellente école de la responsabilité.»
A
la CGT, le secrétaire général, Philippe Martinez, accuse le président
d'entretenir une campagne mensongère sur la SNCF et ses cheminots, comme
de diviser et d'opposer aussi ceux qui n'ont pas grand-chose, retraités
contre jeunes, fonctionnaires contre salariés, en ménageant les riches.
Décisif pour la CGT et le rôle dévolu aux syndicats en Macronie, le
bras de fer printanier pose aussi cette question au président : peut-il
réformer durablement un pays sans s'appuyer sur ses corps intermédiaires
? «Il ne faudra pas venir nous chercher pour jouer les pompiers», a prévenu Laurent Berger.
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