vendredi 4 mai 2018

Black blocs: "S'il y a de la casse, on laisse casser" : les forces de l'ordre divisées sur la gestion du 1er-Mai


Par Anna Breteau

Alors que 1.200 "Black blocs" ont provoqué de nombreuses dégradations lors des défilés du 1er-Mai à Paris, la stratégie d'intervention des forces de l'ordre fait polémique au sein même de celles-ci.

Annoncés "400 à 800", ils étaient finalement 1.200. Encagoulés, vêtus de noir, munis de masques à gaz, et pour certains de cocktails molotov et de projectiles, les "Black blocs" ont monopolisé les images du défilé traditionnel du 1er-Mai en saccageant un McDonald's, 31 commerces, une concession immobilière et brûlant plusieurs voitures.
Il n'y a eu qu'un blessé léger parmi les forces de l'ordre, et 3 parmi les manifestants. Un bilan dont s'est réjoui Michel Delpuech, préfet de police de Paris, en conférence de presse mardi 1er mai en fin de journée. Pourtant, certaines images de colonnes de CRS regardant attentivement les casseurs saccager des commerces ont suscité de vives polémiques sur la stratégie adoptée. Fallait-il intervenir plus tôt ? La question divise la police et les CRS autant que les raisons de cette intervention tardive.

Sécuriser les manifestants non-violents

La première raison invoquée est celle de la prudence, face à la potentielle explosion de violence, en cas d'affrontements directs. Le préfet de police de Paris Michel Delpuech s'est justifié au micro de France Inter ce mercredi matin, en ces termes : "Il y avait, autour, 1.000 manifestants pacifiques. Vous imaginez si les forces de l'ordre intervenaient au milieu de ces personnes ?".

Une explication également relayée par Daniel Chaumette, du SGP Police, qui s'est réjoui du peu de blessés à déplorer. Pour lui, c'est avant tout la sécurité des manifestants et des policiers qui a été préservée : "Quand on intervient au milieu de dizaines de milliers de personnes, s'il y a des gens qui se trouvent au milieu, même de simples passants, ils vont prendre comme les autres, avec les risques que l'on connaît. Il y aurait forcément eu des blessés. Alors, c'était une décision prudente", nous a-t-il affirmé.
Une polémique qui ne manque pas d'irriter ce syndiqué de toujours, pourtant "très attaché à la liberté de manifester". "De toutes façons, dans ce type de manifestations d'ampleur, quoi qu'il arrive, la police est stigmatisée. Un coup elle a agi trop violemment, un coup pas assez …", s'agace Daniel Chaumette.

"Dans ce type de manifestations d'ampleur, quoi qu'il arrive, la police est stigmatisée"

Pour Axel Ronde, secrétaire général du Syndicat Vigi Police en Ile-de-France, "la manif a été très bien gérée par la préfecture de police". Éviter une flambée de violences était alors la priorité : "Ce sont des groupuscules ultra-violents et entraînés, qui s'en prennent systématiquement aux forces de l'ordre. Et leur violence a été relativement bien canalisée". Pourquoi les forces de l'ordre ne sont pas intervenues plus tôt, notamment au restaurant McDonalds, attaqué à coups de cocktails molotov alors qu'une dizaine de clients se trouvaient à l'étage ? Axel Ronde estime que "tout se passe très vite dans ce genre de situation".  

"Nous aurions dû recevoir l'ordre d'intervenir bien avant"

De nombreux représentants syndicaux policiers se sont pourtant étonnés de ne pas avoir reçu l'ordre de contrôler et interpeller les casseurs en amont. David Michaux, secrétaire national de la section CRS de l'UNSA Police (Fédération autonome des syndicats de police), entend les arguments de la préfecture de police mais émet des réserves quant aux ordres qui ont été donnés : "lls voulaient éviter les affrontements directs entre les forces de l'ordre et les manifestants. Mais il y aurait dû y avoir une intervention en amont". Et pour cause : les membres des "Blacks blocs" se sont équipés au vu et au su de tous les journalistes et forces de l'ordre, placés en tête du cortège. Alors qu'ils n'étaient que de petits groupes épars, ils se sont regroupés en un bloc de 1.200 personnes. "La préfecture de police aurait dû nous donner l'ordre d'intervenir dès ce moment-là", commente David Michaux. Et d'ajouter : "Nous savons qui ils sont, nous savons qu'ils sont armés, nous aurions dû recevoir l'ordre d'intervenir bien avant. C'est incompréhensible".

Une volonté de discréditer le message social ?

Certains syndicats de police s'interrogent également sur les avantages que présente la médiatisation de ces dégradations pour le gouvernement, qui tendent à réduire les protestations sociales actuelles à des violences gratuites. Alexandre Langlois, secrétaire générale du Syndicat de police Vigi au niveau national, n'est pas d'accord avec son confrère d'Ile-de-France, Axel Ronde. Ce mardi 1er mai, il a rapporté sur Twitter les témoignages de collègues CRS, qui auraient reçu la consigne suivante : "En cas de casse, on laisse casser".

Il nous confirme au téléphone avoir reçu ces informations des CRS présents sur place. Des consignes, selon lui, toujours données à l'oral. "Nos collègues CRS nous ont alerté hier. La consigne était la suivante : "s'il y a de la casse on laisse casser". Selon lui, cette stratégie du laisser faire devient classique, et en dit long sur la stratégie politique adoptée par le gouvernement pour traiter la grogne sociale : "L'objectif est de détourner le message social, je n'en vois pas d'autre". Une intervention anticipée aurait-elle pu s'avérer plus dangereuse que l'inaction ? "Les affrontements auront lieu, quoi qu'il arrive. Alors il vaut mieux intervenir en amont quand ils sont en petits groupes, dispersés"

"Les affrontements auront lieu, quoi qu'il arrive. Alors il vau mieux intervenir en amont"

Axel Ronde, au contraire, n'y voit aucun calcul de la part du gouvernement : "Je ne crois pas que l'on soit dans la même situation que pendant les manifestations s'opposant à la loi El Khomri, lors desquelles le gouvernement avait sciemment demandé aux forces de l'ordre de ne pas intervenir pour ternir le message des manifestations".


"C'était pareil au moment de la loi Travail, ils voulaient qu'on laisse faire"

Un CRS présent sur le boulevard de l'Hôpital a accepté de témoigner anonymement sur le contexte des interventions d'hier et nous a confirmé les informations relayées par Alexandre Langlois. Peu avant l'arrivée des "Blacks blocs" au niveau de la gare d'Austerlitz, son commissaire aurait transmis la consigne : "S'il y a de la casse, on laisse casser". Une décision qui ne l'étonne plus : "C'était pareil au moment des manifestations contre la loi Travail : ils voulaient qu'on laisse faire". Et d'ajouter : "C'est une question politique. Ces règles sont édictées au plus haut niveau de l'exécutif". Tout en se moquant des réactions indignées des différents membres de l'exécutif, il s'insurge : "Ce sont des mensonges, de la communication. Nous ne sommes pas naïfs, c'est la ligne de conduite du ministère !".
A la lumière des évènements d'hier, une autre question inquiète ce CRS aguerri : l'ampleur que prend le groupe "Black blocs". "Ils étaient 150-200 au moment des manifestations contre la loi Travail. Ils sont 1.200 aujourd'hui. Combien seront-ils demain, si nous laissons faire ?", s'interroge-t-il.




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