jeudi 17 mai 2018

Comment le monde de la finance a investi dans le candidat Macron


Par Étienne Girard

Une coterie de banquiers d'affaires, de financiers et de start-uppers a largement soutenu En marche à ses débuts. Leurs dons massifs ont permis à Emmanuel Macron de s'émanciper de François Hollande. En attendant un retour sur investissement ?

Le grand public ne connaît pas leurs noms. La majorité des spécialistes ignorent leurs visages. Ils ne se sont jamais présentés aux élections. Pourtant, depuis mai 2017, leur candidat gouverne. Dans un pied de nez cruel au discours du Bourget de François Hollande en 2012, une partie du monde de la finance et de la banque a favorisé l'élection d'Emmanuel Macron à l'Elysée. De nombreux documents auxquels Marianne a eu accès, pour beaucoup issus des « MacronLeaks », ces e-mails de l'entourage du candidat piratés avant le premier tour de la présidentielle, que nous avons recoupés et vérifiés, attestent le soutien financier massif apporté par ce microcosme à En marche à ses débuts. Dans les huit premiers mois d'existence du mouvement, c'est plus globalement un carré de très riches entrepreneurs qui a porté à bout de bras l'écurie présidentielle de l'ex-ministre de l'Economie. Parmi eux, aucun des milliardaires habitués du Premier Cercle, club de donateurs de l'UMP, comme François Pinault, Serge Dassault ou la famille Bettencourt.
Dans sa conquête du pouvoir, Emmanuel Macron a su s'appuyer sur une élite bien plus « nouveau monde », composée de banquiers d'affaires, de gérants de fonds d'investissement, de capital-risqueurs et de start-uppers à succès. Des profils particulièrement avantagés par les réformes du président depuis un an. Par conviction, sans aucun doute. A la découverte de l'aide précieuse apportée par cette nouvelle aristocratie d'affaires, impossible pourtant de ne pas se demander si le chef de l'Etat osera mordre demain la main qui l'a nourri hier.

En découvrant l'aide apportée par l'aristocratie d'affaires, il est impossible de ne pas se demander si le président osera mordre la main qui l'a nourri

En découvrant l'aide apportée par l'aristocratie d'affaires, il est impossible de ne pas se demander si le président osera mordre la main qui l'a nourri
Au commencement de tout, il y a le code électoral et ses règles de financement pour le moins rigides. « J'ai décidé de créer un mouvement politique nouveau. Un mouvement qui ne sera pas à droite, qui ne sera pas à gauche », clame Emmanuel Macron, le 6 avril 2016, au lancement d'En marche, à Amiens, sans s'avancer sur une candidature à la présidentielle. Parce qu'il sait que le financement de sa future campagne est un obstacle majeur. A l'inverse des mouvements déjà installés, qu'il entend supplanter, En marche ne recevra pas le moindre euro de l'Etat. Il lui faut donc aller à la pêche aux sous. L'ancien banquier de chez Rothschild, ministre de l'Economie en exercice, sait où les trouver : dans la main de cette nouvelle élite financière qui parle en sigles anglophones et s'est enrichie en gérant des capitaux ou des portefeuilles d'investisseurs sans se préoccuper des frontières physiques. Au sein du parti « ni de droite, ni de gauche », deux hommes sont chargés de cette mission commando : Christian Dargnat, ex-directeur de la banque d'investissement de BNP Paribas, et Emmanuel Miquel, alors manager au sein du fonds d'investissement Ardian, qui deviendra, après l'élection, conseiller à l'Elysée chargé de l'attractivité. Deux profils qui vont aimanter les chèques de très riches entrepreneurs. Leur Graal ? Le don maximal de 7.500 € qu'un particulier est en droit de consentir à un parti politique.

Des dîners en argent

Dès le 14 avril 2016, Emmanuel Macron se met au travail avec son équipe. Il profite d'un voyage à Londres en tant que ministre pour récolter des fonds, lors d'un déjeuner. Ces agapes, qui réunissent 50 gros portefeuilles, ont lieu au domicile privé du vice-président d'un fonds d'investissement régional de Total et de sa compagne, une entrepreneuse passée par des banques d'affaires françaises. Dans un document du 26 avril, Emmanuel Miquel estime que l'événement devrait rapporter « 281.250 € », pour deux heures de présence de l'énarque.

Ceux qui pensent comme Emmanuel Macron étaient les citoyens les plus aisés en France
Jean-François RialPDG de Voyageurs du monde
Pour faciliter cette levée de fonds à l'américaine, Christian Dargnat et Emmanuel Miquel ont l'idée d'avoir recours à des « poissons pilotes », des soutiens influents susceptibles d'organiser des dîners de levée de fonds. Plusieurs personnalités se portent immédiatement volontaires pour arranger des rendez-vous auxquels Emmanuel Macron doit le plus souvent participer. Parmi eux, on retrouve, selon Emmanuel Miquel, l'industriel high-tech Nicolas Dmitrieff, 321e fortune de France, le producteur Dominique Boutonnat, le start-upper Gaël Duval, le banquier Gilles de Margerie, ou encore le consultant financier Edouard Tétreau, notamment chargé de préparer, le 8 juin, un dîner de levée de fonds en présence d'une trentaine de convives influents, dont… Jean-Michel Blanquer. Le PDG de Voyageurs du monde, Jean-François Rial, est également mis à contribution pour une soirée. Auprès de BFMTV, le 29 avril dernier, il ne cache rien du profil sociologique très marqué des invités : « Ceux qui pensent comme Emmanuel Macron étaient les citoyens les plus aisés en France ; c'est-à-dire que les gens les plus aisés comme moi qui connaissent assez bien la vérité de ce qui dysfonctionne en France, étaient en harmonie avec ce discours. »

A cette époque, En marche vit sous perfusion du monde de la finance. Selon un tableau Excel, diffusé en interne le 8 juin 2016, sur les 35 donateurs de plus de 5.000 € du mouvement, 13 exercent dans la finance et cinq dans la banque d'affaires. Soit un ratio impressionnant de plus de 50 %, auquel on pourrait ajouter deux dons effectués par l'épouse d'un banquier de Goldman Sachs et par la fille de David de Rothschild, alors président de la banque d'affaires. Les dons à 5.000 € et plus représentent alors 252.000 €, soit plus de 50 % du total des dons perçus par En marche. Un soutien financier décisif au moment où Emmanuel Macron envisage l'organisation de son premier meeting, le 12 juillet à la Mutualité, à Paris. Cette soirée à 300.000 €, diffusée en direct sur BFMTV et iTélé, permet au ministre de franchir un cap dans l'opinion, grâce à quoi il démissionne du gouvernement le 30 août. Englué à 12 % dans les sondages en juin, l'énarque bondit à 18 % début septembre.







 

Au pas de charge

A cette période, Alexis Kohler, futur secrétaire général de l'Elysée, décide de débloquer un certain nombre de chèques laissés en attente pour cause de conflit d'intérêts potentiel, Emmanuel Macron étant au gouvernement. Leur liste, communiquée le 15 septembre par Emmanuel Miquel, confirme la tendance observée en juin. Une nouvelle fois, les bonnes fées de la finance se sont penchées sur le berceau d'En marche. Sur les 29 nouveaux dons de plus de 5.000 € recensés, neuf émanent de professionnels de la finance et quatre de banquiers, auxquels on pourrait ajouter six contributions… d'épouses de financiers.
Dans le même temps, Emmanuel Macron poursuit - au pas de charge - les déjeuners et dîners de levée de fonds. Il se rend à Londres, où il est introduit dans le microcosme des entrepreneurs français par le start-upper Albin Serviant, le financier Guillaume Rambourg et le banquier Samir Assaf, directeur du fonds d'investissement de HSBC. Le 14 septembre, celui-ci donne un dîner en l'honneur de l'ex-ministre à son domicile. A Bruxelles, le futur candidat peut compter sur Olivier Duha, ex-fer de lance du lobby entrepreneurial Les Pigeons, qui multiplie les levées de fonds en sa faveur. Début décembre, l'ex-collaborateur de François Hollande s'en va demander de l'argent aux… Français de New York. Le voyage est organisé par Christian Deséglise, responsable des banques centrales à HSBC. Le 6 décembre, un dîner a lieu à cette fin chez Frédéric Chesnais, PDG de l'entreprise de jeux vidéo Atari et ex de la banque Lazard.

Si, en fin d'année 2016, le talent et le positionnement d'Emmanuel Macron séduisent de plus en plus le public, c'est à la générosité de ses bienfaiteurs fortunés qu'En marche doit sa bonne santé financière et sa capacité à mettre sur pied des meetings onéreux, comme celui de la porte de Versailles, au coût d'environ 400.000 €. Au 31 décembre 2016, « 3,482 millions d 'euros » ont été obtenus au détour de « dîners/ réseaux » de levée de fonds organisés par le parti, ce qui correspond à 69 % de la collecte totale, selon un document transmis par Emmanuel Miquel au trésorier Cédric O, le 8 janvier 2017. Parmi ces bienfaiteurs, il existe même un premier cercle de « 400 donateurs à plus de 5.000 € ».
Début avril 2017, l'entourage du candidat, interrogé par Libération, affirme que « seulement 1,7 % des dons dépasseraient 5.000 € ». C'est vrai. Cette présentation occulte toutefois le fait que cette petite escouade de donateurs motivés représente alors, selon nos calculs, toujours 45 % du total des dons. Un chiffre impressionnant qui montre que, si ce n'est pas le monde de la finance mais bien le peuple français qui a élu Emmanuel Macron, une très riche élite s'est largement investie pour qu'il conquière le pouvoir.

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