Par Étienne Girard
Une coterie de banquiers d'affaires, de financiers et de start-uppers a
largement soutenu En marche à ses débuts. Leurs dons massifs ont permis à
Emmanuel Macron de s'émanciper de François Hollande. En attendant un
retour sur investissement ?
Le grand public ne connaît pas leurs noms. La majorité des
spécialistes ignorent leurs visages. Ils ne se sont jamais présentés aux
élections. Pourtant, depuis mai 2017, leur candidat gouverne. Dans un
pied de nez cruel au discours du Bourget de François Hollande en 2012,
une partie du monde de la finance et de la banque a favorisé l'élection
d'Emmanuel Macron à l'Elysée. De nombreux documents auxquels Marianne a
eu accès, pour beaucoup issus des « MacronLeaks », ces e-mails de
l'entourage du candidat piratés avant le premier tour de la
présidentielle, que nous avons recoupés et vérifiés, attestent le
soutien financier massif apporté par ce microcosme à En marche à ses
débuts. Dans les huit premiers mois d'existence du mouvement, c'est plus
globalement un carré de très riches entrepreneurs qui a porté à bout de
bras l'écurie présidentielle de l'ex-ministre de l'Economie. Parmi eux,
aucun des milliardaires habitués du Premier Cercle, club de donateurs
de l'UMP, comme François Pinault, Serge Dassault ou la famille
Bettencourt.
Dans sa conquête du pouvoir, Emmanuel Macron a su
s'appuyer sur une élite bien plus « nouveau monde », composée de
banquiers d'affaires, de gérants de fonds d'investissement, de
capital-risqueurs et de start-uppers à succès. Des profils
particulièrement avantagés par les réformes du président depuis un an.
Par conviction, sans aucun doute. A la découverte de l'aide précieuse
apportée par cette nouvelle aristocratie d'affaires, impossible pourtant
de ne pas se demander si le chef de l'Etat osera mordre demain la main
qui l'a nourri hier.
En découvrant l'aide apportée par l'aristocratie d'affaires, il est
impossible de ne pas se demander si le président osera mordre la main
qui l'a nourri
En découvrant l'aide
apportée par l'aristocratie d'affaires, il est impossible de ne pas se
demander si le président osera mordre la main qui l'a nourri
Au commencement de tout, il y a le code électoral et ses règles de financement pour le moins rigides. « J'ai décidé de créer un mouvement politique nouveau. Un mouvement qui ne sera pas à droite, qui ne sera pas à gauche », clame
Emmanuel Macron, le 6 avril 2016, au lancement d'En marche, à Amiens,
sans s'avancer sur une candidature à la présidentielle. Parce qu'il sait
que le financement de sa future campagne est un obstacle majeur. A
l'inverse des mouvements déjà installés, qu'il entend supplanter, En
marche ne recevra pas le moindre euro de l'Etat. Il lui faut donc aller à
la pêche aux sous. L'ancien banquier de chez Rothschild, ministre de
l'Economie en exercice, sait où les trouver : dans la main de cette
nouvelle élite financière qui parle en sigles anglophones et s'est
enrichie en gérant des capitaux ou des portefeuilles d'investisseurs
sans se préoccuper des frontières physiques. Au sein du parti « ni de
droite, ni de gauche », deux hommes sont chargés de cette mission
commando : Christian Dargnat, ex-directeur de la banque d'investissement
de BNP Paribas, et Emmanuel Miquel, alors manager au sein du fonds
d'investissement Ardian, qui deviendra, après l'élection, conseiller à
l'Elysée chargé de l'attractivité. Deux profils qui vont aimanter les
chèques de très riches entrepreneurs. Leur Graal ? Le don maximal de
7.500 € qu'un particulier est en droit de consentir à un parti
politique.
Des dîners en argent
Dès le 14 avril
2016, Emmanuel Macron se met au travail avec son équipe. Il profite
d'un voyage à Londres en tant que ministre pour récolter des fonds, lors
d'un déjeuner. Ces agapes, qui réunissent 50 gros portefeuilles, ont
lieu au domicile privé du vice-président d'un fonds d'investissement
régional de Total et de sa compagne, une entrepreneuse passée par des
banques d'affaires françaises. Dans un document du 26 avril, Emmanuel
Miquel estime que l'événement devrait rapporter « 281.250 € », pour deux heures de présence de l'énarque.
Ceux qui pensent comme Emmanuel Macron étaient les citoyens les plus aisés en France
PDG de Voyageurs du monde
Pour faciliter cette levée de fonds à l'américaine, Christian Dargnat et
Emmanuel Miquel ont l'idée d'avoir recours à des « poissons pilotes »,
des soutiens influents susceptibles d'organiser des dîners de levée de
fonds. Plusieurs personnalités se portent immédiatement volontaires pour
arranger des rendez-vous auxquels Emmanuel Macron doit le plus souvent
participer. Parmi eux, on retrouve, selon Emmanuel Miquel, l'industriel
high-tech Nicolas Dmitrieff, 321e fortune de France, le producteur
Dominique Boutonnat, le start-upper Gaël Duval, le banquier Gilles de
Margerie, ou encore le consultant financier Edouard Tétreau, notamment
chargé de préparer, le 8 juin, un dîner de levée de fonds en présence
d'une trentaine de convives influents, dont… Jean-Michel Blanquer. Le
PDG de Voyageurs du monde, Jean-François Rial, est également mis à
contribution pour une soirée. Auprès de BFMTV, le 29 avril dernier, il
ne cache rien du profil sociologique très marqué des invités : « Ceux
qui pensent comme Emmanuel Macron étaient les citoyens les plus aisés
en France ; c'est-à-dire que les gens les plus aisés comme moi qui
connaissent assez bien la vérité de ce qui dysfonctionne en France,
étaient en harmonie avec ce discours. »
A cette époque, En marche vit sous perfusion du monde de la finance.
Selon un tableau Excel, diffusé en interne le 8 juin 2016, sur les 35
donateurs de plus de 5.000 € du mouvement, 13 exercent dans la finance
et cinq dans la banque d'affaires. Soit un ratio impressionnant de plus
de 50 %, auquel on pourrait ajouter deux dons effectués par l'épouse
d'un banquier de Goldman Sachs et par la fille de David de Rothschild,
alors président de la banque d'affaires. Les dons à 5.000 € et plus
représentent alors 252.000 €, soit plus de 50 % du total des dons perçus
par En marche. Un soutien financier décisif au moment où Emmanuel
Macron envisage l'organisation de son premier meeting, le 12 juillet à
la Mutualité, à Paris. Cette soirée à 300.000 €, diffusée en direct sur
BFMTV et iTélé, permet au ministre de franchir un cap dans l'opinion,
grâce à quoi il démissionne du gouvernement le 30 août. Englué à 12 %
dans les sondages en juin, l'énarque bondit à 18 % début septembre.
Au pas de charge
A cette période,
Alexis Kohler, futur secrétaire général de l'Elysée, décide de débloquer
un certain nombre de chèques laissés en attente pour cause de conflit
d'intérêts potentiel, Emmanuel Macron étant au gouvernement. Leur liste,
communiquée le 15 septembre par Emmanuel Miquel, confirme la tendance
observée en juin. Une nouvelle fois, les bonnes fées de la finance se
sont penchées sur le berceau d'En marche. Sur les 29 nouveaux dons de
plus de 5.000 € recensés, neuf émanent de professionnels de la finance
et quatre de banquiers, auxquels on pourrait ajouter six contributions…
d'épouses de financiers.
Dans le même temps, Emmanuel Macron
poursuit - au pas de charge - les déjeuners et dîners de levée de fonds.
Il se rend à Londres, où il est introduit dans le microcosme des
entrepreneurs français par le start-upper Albin Serviant, le financier
Guillaume Rambourg et le banquier Samir Assaf, directeur du fonds
d'investissement de HSBC. Le 14 septembre, celui-ci donne un dîner en
l'honneur de l'ex-ministre à son domicile. A Bruxelles, le futur
candidat peut compter sur Olivier Duha, ex-fer de lance du lobby
entrepreneurial Les Pigeons, qui multiplie les levées de fonds en sa
faveur. Début décembre, l'ex-collaborateur de François Hollande s'en va
demander de l'argent aux… Français de New York. Le voyage est organisé
par Christian Deséglise, responsable des banques centrales à HSBC. Le 6
décembre, un dîner a lieu à cette fin chez Frédéric Chesnais, PDG de
l'entreprise de jeux vidéo Atari et ex de la banque Lazard.
Si, en fin d'année 2016, le talent et le positionnement d'Emmanuel
Macron séduisent de plus en plus le public, c'est à la générosité de ses
bienfaiteurs fortunés qu'En marche doit sa bonne santé financière et sa
capacité à mettre sur pied des meetings onéreux, comme celui de la
porte de Versailles, au coût d'environ 400.000 €. Au 31 décembre 2016, « 3,482 millions d 'euros » ont
été obtenus au détour de « dîners/ réseaux » de levée de fonds
organisés par le parti, ce qui correspond à 69 % de la collecte totale,
selon un document transmis par Emmanuel Miquel au trésorier Cédric O, le
8 janvier 2017. Parmi ces bienfaiteurs, il existe même un premier
cercle de « 400 donateurs à plus de 5.000 € ».
Début avril 2017, l'entourage du candidat, interrogé par Libération, affirme que « seulement 1,7 % des dons dépasseraient 5.000 € ». C'est
vrai. Cette présentation occulte toutefois le fait que cette petite
escouade de donateurs motivés représente alors, selon nos calculs,
toujours 45 % du total des dons. Un chiffre impressionnant qui montre
que, si ce n'est pas le monde de la finance mais bien le peuple français
qui a élu Emmanuel Macron, une très riche élite s'est largement
investie pour qu'il conquière le pouvoir.
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