Propos recueillis par Anna Breteau
Alors que les premières comparutions immédiates après les affrontements
du 1er-Mai ont lieu, beaucoup s'étonnent du profil social assez
"bourgeois" des militants du "Black bloc". Il se révèle en réalité
plutôt classique.
Qualifiés par la droite et l'extrême droite de "racailles de
banlieues", les premiers militants "Black blocs" présentés en
comparution immédiate après les violences du 1er-Mai présentent un tout
autre profil social. Élèves à Centrale, fils et filles de chercheurs au
CNRS, d'analystes financiers, etc... Il semble que ces militants
appartiennent plus à la classe moyenne ou à la petite bourgeoisie qu'aux
classes populaires. Un profil beaucoup moins étonnant qu'il n'y paraît.
Olivier Cahn, enseignant-chercheur à l'Université de Cergy-Pontoise,
spécialiste de l'anarchisme et du militantisme violent, nous livre son
analyse sur les militants du "Black bloc" et sa composition sociale.
On entend partout, après les interpellations de militants du "Black
bloc" et les premières comparutions immédiates, que le profil social des
prévenus "étonne". Est-ce vraiment si surprenant ?
Olivier Cahn
: Ce qui est étonnant, c'est que l'on pensait que la composition
sociale de "Black bloc" avait changé, s'était diversifiée. On avait
l'impression que ce mode d'action s'était un peu dépolitisé, s'inspirait
moins de la bonne société formée à Sciences-Po. En fait, on se rend
compte que ces militants restent finalement assez fidèles aux profils
que l'on trouvait lors de sa création dans les années 1980 en Allemagne,
et dans les mouvements autonomes.
Historiquement, le "Black bloc"
a été fondé par des étudiants allemands tous issus de la classe moyenne
supérieure. C'est d'ailleurs ce qui est reproché de façon récurrente
par certains groupes trotskystes : les anarchistes sont plutôt issus de
milieux sociaux privilégiés, moins des classes populaires.
A l'intérieur du groupe qui constitue aujourd'hui les "Black blocs", on
trouve des gens formés très différemment. Certains sont donc issus d'une
formation classique à la Sciences-Po, et d'autres viennent notamment
des "Kops" d'Auteuil, ces supporters de l'ultra-gauche opérant au Stade
de France. L'exemple des "Kops" d'Auteuil
montre des origines sociales certainement plus populaires, et ils sont
aussi plus habitués à l'action et aux stratégies policières. On va
retrouver aussi des militants antifascistes. Mais, effectivement, le
fait que des gens issus de la petite et moyenne bourgeoisie rejoignent
une action "Black bloc" n'a rien de nouveau. Et cela discrédite
rapidement le discours de l'extrême droite qui véhicule l'idée que des
gamins exaspérés par leur situation sociale et dépolitisés descendent
des banlieues vers la capitale. Cela ne correspond pas du tout au "Black
bloc".
"Il n'existe pas de groupe "Black bloc", c'est un mode d'action."
Les profils évoqués depuis hier sont-ils représentatifs de tous les militants du "Black bloc" ?
Je resterais prudent. Il serait un peu hâtif d'en conclure à une
représentation sociale fidèle des adeptes du "Black bloc". Ceux qui ont
été attrapés le 1er mai sont les moins aguerris. Les mieux formés et
structurés politiquement savent pertinemment quand la police va
intervenir, et je pense qu'ils étaient déjà partis quand les
interpellations ont eu lieu. Le profil des gens attrapés lors des
interpellations doit être analysé en gardant à l'esprit cette réalité.
Quand on regarde les images du 1er-Mai, on voit très clairement des
militants équipés, préparés, et d'autres qui portent une simple écharpe
sur le nez. Il ne faut pas sous-estimer l'opportunisme dans ce type
d'action.
N'est-ce pas la première fois que l'on voit 1.200 militants du "Black bloc" déferler dans les rues de Paris ?
La différence, ce 1er-Mai - et ils l'avaient annoncé -, c'est qu'ils
s'étaient organisés. Ce sont surtout des militants parisiens et de la
région parisienne qu'ils ont réussi à mobiliser. Alors que le mouvement
appelait sur Internet à une grande convergence de toute l'ultra-gauche
européenne à Paris, on voit que cela a finalement peu fonctionné. Il y a
très peu d'étrangers dans les interpellations.
Mais il est important de rappeler que, contrairement à ce que martèle le
ministre de l'Intérieur Gérard Collomb qui, visiblement, n'est pas très
bien informé, il n'existe pas de groupe "Black bloc". Le "Black bloc"
est un mode d'action. Vous avez des militants autonomes qui vont
investir une manifestation légale, organisée et aller au contact. Soit
contre des symboles du capitalisme et de la mondialisation, soit contre
les forces de l'ordre. L'idée est de montrer que l'Etat ne tient pas la
rue. Dans ces militants qui forment un "Black bloc", il va y avoir des
militants de toutes sortes de mouvances, y compris des antifascistes.
Mais "les Black blocs", ça n'existe pas !
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