Par Hadrien Mathoux
Lors de son entretien avec le magazine américain, le président développe
longuement sa vision de l'économie française. La "disruption" et la
libéralisation y sont jugées indispensables pour adapter le pays à la
marche du monde. Aux critiques, Emmanuel Macron répond en 2018 comme
Margaret Thatcher dans les années 1980 : "Il n'y a pas d'alternative".
Logiquement, l'annonce de la suppression de l'exit tax a retenu l'attention de ceux qui se sont penchés sur l'interview d'Emmanuel Macron par le magazine américain Forbes,
publiée ce mardi 1er mai. Mais, au-delà d'une mesure qui devrait faire
économiser 800 millions d'euros aux plus fortunés dès 2019, la
retranscription des 20 minutes qu'a passées le Président à parler via Skype
aux journalistes Randall Lane et Parmy Olson permet de se faire une
idée encore un peu plus précise de la vision de l'économie française que
porte le chef de l'Etat. Dans cet entretien avec la presse libérale,
Emmanuel Macron, mis à l'aise par des interlocuteurs acquis à sa cause,
se lâche et livre sans complexes une pensée qui emprunte autant à la
"disruption" digitale du XXIe siècle qu'au néolibéralisme de Margaret
Thatcher lors des années 1980.
Disruption à tous les étages
D'emblée, le président se pose en surplomb, adoptant la posture du tuteur qui doit enseigner la bonne parole aux Français : "Comme
je l'ai expliqué à mon peuple, nous sommes au tout début d'une immense
transformation globalement due à l'arrivée du numérique, à la disruption
digitale, et maintenant avec l'émergence de l'intelligence
artificielle." Autre figure imposée du macronisme, la rupture nette que marquerait sa présidence : "Pendant
trois ou quatre décennies en France, les gens ont réagi à ce changement
en déclarant qu'ils y résisteraient. Les partis de gauche et de droite
ont en fait proposé à notre peuple de se protéger contre les
changements." A ceux qui voudraient se "protéger" contre les changements, Emmanuel Macron sert ce qui est devenu son mantra : "Nous
avons besoin de réformer en profondeur, y compris la partie
traditionnelle de l'économie. L'agriculture, l'industrie et les services
sont déjà totalement disruptés." Disrupter : ce terme, signifiant grosso modo "bouleverser
en profondeur une situation" est d'habitude plutôt utilisé par les
patrons de start-up et les as du marketing. Le président de la
République l'emploie six fois en 20 minutes avec les journalistes de Forbes.
"Je veux que mon pays soit ouvert à la disruption et à ces nouveaux modèles"
à propos de Uber et Airbnb
Emmanuel Macron joue cartes sur table : la révolution numérique et la
fin des emplois stables sont présentés par le chef de l'Etat comme des
évolutions inéluctables. "Ce que je propose comme changement de
profondeur est d'expliquer au peuple français : la meilleure protection
n'est pas de vous protéger contre le changement. Parce qu'il va arriver", assure-t-il. Allant jusqu'à moquer ceux qui s'inquiéteraient d'une uberisation de l'économie : "Beaucoup
de gens expliquent aux citoyens français, 'je vous protégerai contre
les effets pervers d'Uber ou de Airbnb', mais ces entreprises sont là et
les consommateurs français les adorent, même si elles mettent en péril
beaucoup d'emplois…" Emmanuel Macron est d'ailleurs prêt à ouvrir grand les portes du pays aux deux géants venus d'Amérique : "Je veux que mon pays soit ouvert à la disruption et à ces nouveaux modèles", livre-t-il à Forbes.
Dans la France made in Macron, la "disruption" est partout ;
l'objectif est de former chaque Français pour qu'il puisse se retourner,
et rebondir d'emploi en emploi. L'éducation et l'apprentissage sont
considérés comme "la vraie protection" par le président. "Si
votre secteur est disrupté par un nouvel acteur, la meilleure protection
que je peux apporter, c'est de vous entraîner pour aller dans un autre
secteur et inventer votre nouvel avenir." Le chef de l'Etat raconte même qu'il regarde avec gourmandise la manière dont "les
nouvelles start-up et les start-up françaises sont en train de
disrupter et de créer des problèmes pour les grandes compagnies comme
EDF". Il affirme avoir adressé ce conseil à la grande compagnie d'électricité, détenue à plus de 85% par l'Etat : "Vous
devriez investir dans ces start-up. Elles vont probablement vous
disrupter, donc le meilleur moyen de procéder est d'être leur
partenaire."
Dans les colonnes de Forbes, la vision macronienne est
peut-être plus claire que jamais : il s'agit d'ouvrir la France aux
grands vents de la mondialisation et du libre-échange. "Cela signifie
plus de flexibilité et d'accélération dans l'économie, une approche
'business-friendly' (...) Le message que je veux envoyer aux
investisseurs étrangers est que nous sommes en train de faire baisser
l'impôt sur les sociétés, de simplifier tout, d'apporter plus de
flexibilité au marché du travail, d'accélérer la transformation de
l'économie française."
Quant
aux oppositions et aux réserves, Emmanuel Macron en fait bien peu de
cas. Il y répond de la même manière que la Première ministre britannique
Margaret Thatcher dans les années 1980, en changeant un petit peu la
formule : là où la conservatrice assénait "There is no alternative (il n'y a pas d'alternative, ndlr)", le président français répète : "There is no other choice (il n'y a pas d'autre choix)".
Le TINA s'est transformé en TINOC, mais la vision est identique. Elle
consiste à présenter les réformes libérales, non pas comme des choix
politiques, mais comme des étapes indispensables ne souffrant pas d'être
discutées. "La seule manière de procéder, selon moi, est d'expliquer au peuple français que nous mènerons ces réformes, sans aucun doute", martèle Macron, évoquant la réforme de la SNCF et toutes celles qui auront trait aux "services publics"; "Je n'abandonnerai ou ne diminuerai pas l'ambition de la réforme car il n'y a pas d'autre choix."
Le président compte sur "la communauté du business" pour "investir, créer de l'emploi"... et faire ainsi "accepter le changement" aux classes moyennes qui douteraient du bien-fondé des remèdes libéraux. En échange de cet hypothétique "cercle vertueux", Emmanuel Macron est prêt à faire toutes les concessions : réduction de l'impôt sur les sociétés de 32 à 25%, coupes dans le "fardeau" que représenteraient les taxes sur les entreprises, et suppression, donc, de l'exit tax. Pour justifier cette dernière mesure, le président n'hésite pas à convoquer une métaphore audacieuse. "Si
vous êtes capables d'attirer, tant mieux pour vous, mais si ce n'est
pas le cas, on devrait être libre de divorcer. Et je pense que si vous
voulez vous marier, vous ne devriez pas expliquer à votre partenaire 'si
tu te maries avec moi, tu ne seras pas libre de divorcer'. Je ne suis
pas si sûre que cela soit la meilleure manière d'avoir une femme ou un
homme qui vous aime. Donc, je suis pour être libre de se marier et libre
de divorcer." L'économie et le mariage, deux domaines visiblement similaires pour le président de la République, qui conclut : "Les gens sont libres d'investir où ils le veulent". Message reçu 5 sur 5 par Forbes, qui couronne Emmanuel Macron "leader des marchés libres" et applaudit le fait que la France "adopte enfin l'esprit d'entreprise". C'est aussi ça, la start-up nation.
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