vendredi 4 mai 2018

Dans "Forbes", un Macron obsédé par la "disruption" et plus thatchérien que jamais


Par Hadrien Mathoux

Lors de son entretien avec le magazine américain, le président développe longuement sa vision de l'économie française. La "disruption" et la libéralisation y sont jugées indispensables pour adapter le pays à la marche du monde. Aux critiques, Emmanuel Macron répond en 2018 comme Margaret Thatcher dans les années 1980 : "Il n'y a pas d'alternative".

Logiquement, l'annonce de la suppression de l'exit tax a retenu l'attention de ceux qui se sont penchés sur l'interview d'Emmanuel Macron par le magazine américain Forbes, publiée ce mardi 1er mai. Mais, au-delà d'une mesure qui devrait faire économiser 800 millions d'euros aux plus fortunés dès 2019, la retranscription des 20 minutes qu'a passées le Président à parler via Skype aux journalistes Randall Lane et Parmy Olson permet de se faire une idée encore un peu plus précise de la vision de l'économie française que porte le chef de l'Etat. Dans cet entretien avec la presse libérale, Emmanuel Macron, mis à l'aise par des interlocuteurs acquis à sa cause, se lâche et livre sans complexes une pensée qui emprunte autant à la "disruption" digitale du XXIe siècle qu'au néolibéralisme de Margaret Thatcher lors des années 1980.

Disruption à tous les étages

D'emblée, le président se pose en surplomb, adoptant la posture du tuteur qui doit enseigner la bonne parole aux Français : "Comme je l'ai expliqué à mon peuple, nous sommes au tout début d'une immense transformation globalement due à l'arrivée du numérique, à la disruption digitale, et maintenant avec l'émergence de l'intelligence artificielle." Autre figure imposée du macronisme, la rupture nette que marquerait sa présidence : "Pendant trois ou quatre décennies en France, les gens ont réagi à ce changement en déclarant qu'ils y résisteraient. Les partis de gauche et de droite ont en fait proposé à notre peuple de se protéger contre les changements." A ceux qui voudraient se "protéger" contre les changements, Emmanuel Macron sert ce qui est devenu son mantra : "Nous avons besoin de réformer en profondeur, y compris la partie traditionnelle de l'économie. L'agriculture, l'industrie et les services sont déjà totalement disruptés." Disrupter : ce terme, signifiant grosso modo "bouleverser en profondeur une situation" est d'habitude plutôt utilisé par les patrons de start-up et les as du marketing. Le président de la République l'emploie six fois en 20 minutes avec les journalistes de Forbes.

"Je veux que mon pays soit ouvert à la disruption et à ces nouveaux modèles"
Emmanuel Macron, à propos de Uber et Airbnb

Emmanuel Macron joue cartes sur table : la révolution numérique et la fin des emplois stables sont présentés par le chef de l'Etat comme des évolutions inéluctables. "Ce que je propose comme changement de profondeur est d'expliquer au peuple français : la meilleure protection n'est pas de vous protéger contre le changement. Parce qu'il va arriver", assure-t-il. Allant jusqu'à moquer ceux qui s'inquiéteraient d'une uberisation de l'économie : "Beaucoup de gens expliquent aux citoyens français, 'je vous protégerai contre les effets pervers d'Uber ou de Airbnb', mais ces entreprises sont là et les consommateurs français les adorent, même si elles mettent en péril beaucoup d'emplois…" Emmanuel Macron est d'ailleurs prêt à ouvrir grand les portes du pays aux deux géants venus d'Amérique : "Je veux que mon pays soit ouvert à la disruption et à ces nouveaux modèles", livre-t-il à Forbes.

Dans la France made in Macron, la "disruption" est partout ; l'objectif est de former chaque Français pour qu'il puisse se retourner, et rebondir d'emploi en emploi. L'éducation et l'apprentissage sont considérés comme "la vraie protection" par le président. "Si votre secteur est disrupté par un nouvel acteur, la meilleure protection que je peux apporter, c'est de vous entraîner pour aller dans un autre secteur et inventer votre nouvel avenir." Le chef de l'Etat raconte même qu'il regarde avec gourmandise la manière dont "les nouvelles start-up et les start-up françaises sont en train de disrupter et de créer des problèmes pour les grandes compagnies comme EDF". Il affirme avoir adressé ce conseil à la grande compagnie d'électricité, détenue à plus de 85% par l'Etat : "Vous devriez investir dans ces start-up. Elles vont probablement vous disrupter, donc le meilleur moyen de procéder est d'être leur partenaire."  

Dans les colonnes de Forbes, la vision macronienne est peut-être plus claire que jamais : il s'agit d'ouvrir la France aux grands vents de la mondialisation et du libre-échange. "Cela signifie plus de flexibilité et d'accélération dans l'économie, une approche 'business-friendly' (...) Le message que je veux envoyer aux investisseurs étrangers est que nous sommes en train de faire baisser l'impôt sur les sociétés, de simplifier tout, d'apporter plus de flexibilité au marché du travail, d'accélérer la transformation de l'économie française."

Du TINA au TINOC 

Quant aux oppositions et aux réserves, Emmanuel Macron en fait bien peu de cas. Il y répond de la même manière que la Première ministre britannique Margaret Thatcher dans les années 1980, en changeant un petit peu la formule : là où la conservatrice assénait "There is no alternative (il n'y a pas d'alternative, ndlr)", le président français répète : "There is no other choice (il n'y a pas d'autre choix)". Le TINA s'est transformé en TINOC, mais la vision est identique. Elle consiste à présenter les réformes libérales, non pas comme des choix politiques, mais comme des étapes indispensables ne souffrant pas d'être discutées. "La seule manière de procéder, selon moi, est d'expliquer au peuple français que nous mènerons ces réformes, sans aucun doute", martèle Macron, évoquant la réforme de la SNCF et toutes celles qui auront trait aux "services publics"; "Je n'abandonnerai ou ne diminuerai pas l'ambition de la réforme car il n'y a pas d'autre choix."

Le président compte sur "la communauté du business" pour "investir, créer de l'emploi"... et faire ainsi "accepter le changement" aux classes moyennes qui douteraient du bien-fondé des remèdes libéraux. En échange de cet hypothétique "cercle vertueux", Emmanuel Macron est prêt à faire toutes les concessions : réduction de l'impôt sur les sociétés de 32 à 25%, coupes dans le "fardeau" que représenteraient les taxes sur les entreprises, et suppression, donc, de l'exit tax. Pour justifier cette dernière mesure, le président n'hésite pas à convoquer une métaphore audacieuse. "Si vous êtes capables d'attirer, tant mieux pour vous, mais si ce n'est pas le cas, on devrait être libre de divorcer. Et je pense que si vous voulez vous marier, vous ne devriez pas expliquer à votre partenaire 'si tu te maries avec moi, tu ne seras pas libre de divorcer'. Je ne suis pas si sûre que cela soit la meilleure manière d'avoir une femme ou un homme qui vous aime. Donc, je suis pour être libre de se marier et libre de divorcer." L'économie et le mariage, deux domaines visiblement similaires pour le président de la République, qui conclut : "Les gens sont libres d'investir où ils le veulent". Message reçu 5 sur 5 par Forbes, qui couronne Emmanuel Macron "leader des marchés libres" et applaudit le fait que la France "adopte enfin l'esprit d'entreprise". C'est aussi ça, la start-up nation.

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