lundi 14 mai 2018

LA SPIRALE DES INEGALITES TOUJOURS CROISSANTE ......

 BÉNÉFICES

 

Au CAC 40, les gros porteurs raflent la mise





Par Jean-Christophe Féraud — 13 mai 2018 à 19:46

Selon un rapport d’Oxfam, les actionnaires ont capté, ces dernières années, les deux tiers des bénéfices générés par les plus grandes entreprises françaises, au détriment des salariés et de l’investissement.

Une orgie de dividendes au bénéfice des gros actionnaires, une envolée stratosphérique du niveau de rémunération des grands patrons quand la fiche de paie des salariés stagne… Le constat fait par Oxfam France dans un rapport intitulé «CAC 40, des profits sans partage», publié ce lundi, prend une résonance politique particulière au moment où Emmanuel Macron annonce dans le magazine Forbes la suppression de l’exit tax,entre autres mesures fiscales favorables aux plus fortunés, qui conforte son étiquette de «président des riches». La confédération d’ONG, qui lutte contre la pauvreté dans le monde, a étudié à la loupe l’évolution des bénéfices engrangés par les  plus grandes entreprises françaises depuis 2009. Et surtout la manière dont ces richesses créées ont été redistribuées : essentiellement en faveur du capital et dans des proportions qui font de la France un petit paradis pour les actionnaires et les très grosses rémunérations.
Pour cette étude, Oxfam a fait appel au cabinet d’études le Basic (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne) afin d’éplucher les résultats des cadors du CAC. Objectif : montrer comment ces très grandes entreprises «alimentent la spirale des inégalités». Et c’est plutôt réussi. Dix ans après la crise des «subprimes» qui avait fait souffler un vent de panique sur le capitalisme, les bénéfices des grands groupes concernés ont bondi de 60 % entre 2009 et 2016, pour culminer à plus de 93 milliards d’euros en 2017. Des profits «records» obtenus en exerçant «une pression à la baisse» sur les effectifs, les salaires et les fournisseurs, mais aussi grâce à «l’évasion fiscale», rappelle Oxfam. «Ces gigantesques richesses» ont, sans surprise, «surtout bénéficié aux actionnaires et aux dirigeants des entreprises plutôt qu’aux salariés ou aux contribuables». Au total, sur les quelque 600 milliards de profits accumulés de 2009 à 2017, les entreprises du CAC 40 ont reversé 407 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires. Sur la seule année 2017, ces derniers ont reçu 51 milliards d’euros, contre 31 milliards en 2009. Ce qui fait des grands groupes français «les plus gros payeurs de dividendes en Europe, loin devant l’Allemagne».

Règle des «trois tiers»

«Le choix de 2009 comme point de départ de notre étude ne doit rien au hasard : c’est l’année où les profits du CAC étaient tombés au plus bas suite à la crise et l’époque où les décideurs multipliaient les déclarations vertueuses sur la nécessité d’une meilleure redistribution des profits au profit des salariés», explique à Libération Manon Aubry, coauteur du rapport d’Oxfam. Avec ce défaut, cependant, de ne pas pouvoir comparer par rapport aux pics des années précédant la crise.
Reste qu’on est toujours loin de la règle des «trois tiers» vantée par l’ex-président Nicolas Sarkozy : un tiers des bénéfices aux salariés, un autre aux actionnaires, le dernier devant être réinvesti dans l’entreprise «pour financer son développement». Moins de dix ans plus tard, «on est plutôt à deux tiers - un tiers et tout se passe comme si l’investissement et la récompense des salariés n’étaient qu’une simple marge d’ajustement face à la priorité absolue donnée à la rémunération des actionnaires»,pointe Manon Aubry. En effet, sur la période 2009-2016, a calculé Oxfam, le taux de redistribution des profits en faveur des seuls actionnaires a été de 67 %. Sur 100 euros de bénéfices engrangés, les géants du CAC ont ainsi reversé en moyenne 67,4 euros de dividendes à leurs actionnaires, ne laissant que 27,3 euros pour le réinvestissement (dans l’outil industriel, l’innovation, la recherche…) et 5,3 euros pour les salariés… C’est simple, entre 2009 et 2016 «la rémunération des actionnaires a progressé plus de 4 fois plus vite que celle des salariés»,selon Oxfam. Et loin du mythe du petit porteur, c’est une minorité fortunée qui en a surtout bénéficié : selon Euronext, le premier détenteur d’actions du CAC 40 n’est autre que le groupe familial du PDG de LVMH, Bernard Arnault (3,2 %), devant l’Etat français (3 %), la famille Bettencourt-Meyers qui contrôle L’Oréal (3 %), et des fonds anglo-saxons comme BlackRock et Vanguard.
Entre 2009 et 2016, les entreprises les plus généreuses avec leurs actionnaires ont été Total et Sanofi : en tout, elles leur ont respectivement reversé 43,5 et 37,9 milliards d’euros. Le géant pharmaceutique a consacré en moyenne 95 % de ses bénéfices pour servir ses actionnaires. En troisième position sur le podium, le cas d’Engie (27,6 milliards d’euros) interpelle : les dividendes versés par l’ex-GDF-Suez ont été en moyenne «trois fois supérieurs à ses bénéfices depuis 2009» ! Ce qui veut dire que l’entreprise s’endette pour mieux rémunérer ses actionnaires. Arcelor-Mittal va encore plus loin : alors que le sidérurgiste a cumulé plus de 7 milliards de pertes entre 2009 et 2016, il a versé 3,3 milliards de dividendes sur la même période.

Gloutonnerie

Dans le même temps, les salariés n’ont reçu que des miettes, quand ils n’étaient pas victimes d’un plan social. Pourtant, leur fiche de paie aurait pu nettement progresser : si les entreprises du CAC s’étaient contentées de maintenir leur niveau de dividendes de 2009 jusqu’en 2016 et avaient décidé d’augmenter les salaires, «l’ensemble des travailleurs du CAC 40 auraient pu voir leurs revenus augmenter de 2 000 euros par an et par employé», calcule Oxfam.
Dans un monde idéal. Car les seuls salariés qui profitent de cette obsession de la création de valeur sont les dirigeants des entreprises. «La priorité absolue donnée aux actionnaires est logiquement récompensée par ces derniers», constate Manon Aubry. La rémunération des patrons du CAC a ainsi bondi de 46 % depuis 2009, progressant plus de deux fois plus vite que la moyenne des salaires dans leurs entreprises et quatre fois plus vite que le smic. Le PDG de Renault, Carlos Ghosn, est devenu un symbole de la gloutonnerie des grands patrons français : entre 2009 et 2016, sa rémunération a explosé de 469 %, passant de 1,2 à 7 millions d’euros. Et c’est sans compter son salaire équivalent chez Nissan. Carrefour (9,7 millions en 2016), Sanofi (9,6 millions) et L’Oréal paient encore mieux leur boss. En moyenne, en 2016, les PDG du CAC 40 ont gagné 257 fois le smic et 119 fois le salaire moyen au sein de leur entreprise (contre 9 fois en 2009). Parmi les champions des écarts de salaires : Carrefour (306 fois), LVMH (270 fois) et Danone (227 fois).
Pour Oxfam, ce «modèle» basé sur la maximisation des profits au détriment de la majorité «n’est plus acceptable». L’ONG appelle à un «partage plus équitable». Elle propose entre autres d’«encadrer la rémunération des actionnaires» de manière à ce qu’elle ne puisse «représenter d’avantage que la part des bénéfices redistribuée aux salariés». Ce qui passerait par une «meilleure association des salariés aux bénéfices», via les dispositifs d’intéressement et de participation. Oxfam demande aussi que l’écart maximum entre la rémunération moyenne des salariés et celle des PDG soit plafonné «dans un facteur 20», sur le modèle de ce qui a été fait dans les entreprises publiques, et un «encadrement» des retraites chapeau et autres parachutes dorés. L’ONG plaide enfin pour l’égalité salariale hommes-femmes et «un salaire décent» pour tous les travailleurs qui, en amont, contribuent aux profits. Autant de propositions «centrées sur l’humain»qui ont peu de chances de trouver un écho du côté des «premiers de cordée».
Jean-Christophe Féraud
JOURNAL LIBERATION 

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